jeudi 5 mai 2011

La "seconde vie" : pour les batteries, pourquoi pas ?


La réutilisation des batteries automobiles des véhicules électriques pour une "deuxième vie" d'usage stationnaire est un sujet que nous avions abordé en décembre [1]. Un article récent publié à l'Université de Berkeley s'intéresse à ce sujet et propose un modèle économique intéressant.

Le concept de "seconde vie"

Lorsqu'un objet ne satisfait plus les besoins de son utilisateur, plusieurs options se présentent :
1. Il devient un déchet dans une décharge.
2. Après recyclage, les matériaux le constituant sont en partie récupérés et servent à nouveau. Notons que la dégradation de pureté conduit souvent à une seconde utilisation techniquement ou visuellement moins exigeante (ex: les bouteilles en plastiques devenant des meubles de jardin [2]). Ceci est appelé "downcycling" en anglais et peut se traduire "décyclage" ou "dévalorisation" en français [3].
3. Il est réutilisé immédiatement pour un autre usage et/ou par un autre utilisateur.
4. Après une "remise à niveau" partielle ou complète, il est réutilisé pour le même usage ou pour un autre.

Il serait intéressant d'étudier l'importance donnée à ces différentes solutions à travers l'histoire. Aujourd'hui, les considérations environnementales et les tensions sur les ressources en matières premières conduisent à éviter les déchets finaux et à encourager le recyclage. Le marché des objets d'occasion connaît également un fort essor, notamment grâce au développement des sites internet dédiés [4]. Le système de "troc" séduit aussi [5], dans un cercle bien plus large que celui des adeptes de la décroissance.

La réutilisation ou "seconde vie" d'un objet n'est possible que si le deuxième utilisateur accorde une certaine confiance au premier utilisateur. En effet, il ignore le plus souvent la date de fabrication de l'objet, la raison pour laquelle il a été écarté et la durée de vie résiduelle qu'il peut en attendre. Notons que le système de notation des vendeurs (disponible sur e-bay par exemple) permet d'augmenter cette confiance.

Néanmoins, l'asymétrie d'information qui subsiste entre les parties prenantes et le niveau d'incertitude sur la durée de la seconde vie expliquent sans doute pourquoi peu d'industriels se risquent à réutiliser des objets ayant déjà servi auparavant. Des études soulignent d'ailleurs la difficulté de déterminer un processus objectif et automatique permettant de savoir si un produit doit être réparé pour qu'il puisse resservir, ou bien désassemblé [6].

Un exemple très répandu de remise à niveau en milieu industriel est celui du rechapage des pneus: les pneus usagés sont inspectés, réparés et subissent un nouveau revêtement (ou "chape") [7] [8]. En Amérique du Nord, on compte aujourd'hui 850 usines utilisant ce procédé qui date du début du 20ème siècle et le marché des pneus rechapés dépasse trois milliards de dollars. Grâce à la réduction de coûts par rapport à la production d'un pneu neuf, le prix de vente d'un pneu rechapé est entre 30% et 50% moins élevé [9].

De l'intérêt et de la possibilité de donner aux batteries des véhicules électriques une seconde vie

Partant du constat que le coût des batteries est une barrière importante au développement des véhicules électriques, deux chercheurs du Transportation Sustainability Research Center de l'Université de Berkeley ont exploré les moyens d'alléger cette contrainte. Dans un récent article [10], ils envisagent un système où les batteries sont louées à l'utilisateur afin que celui-ci n'endosse pas leur prix dès la première utilisation. Cette proposition serait classique si elle n'incluait pas la valorisation des batteries après leur "vie automobile", permettant ainsi d'abaisser les frais de location d'environ 30%.

Brett Williams et Timothy Lipman considèrent que le marché sera plus favorable aux voitures hybrides rechargeables et c'est pourquoi ils se sont intéressés à un modèle pour les batteries de capacité plutôt limitée (6 kWh). Le prix de location mensuel "de référence" ($131) est calculé pour le cas où l'utilisation automobile dure dix ans avec un coût initial des batteries estimé à $9.000 - soit $1.500 pour les éléments auxiliaires et $1.250/kWh pour les modules.

Dans le scénario "deuxième vie", ces batteries sont retirées des véhicules au bout de 5 ans alors qu'elles ont encore 90% de leur capacité en énergie. Notons que cette hypothèse est assez originale, on évoque plus souvent 80% de capacité restante comme seuil marquant le début de la seconde vie. Les batteries doivent être reconditionnées, c'est-à-dire associées à un nouvel emballage et de nouveaux éléments auxiliaires pour remplacer ceux qui sont restés dans la voiture (électronique de contrôle, onduleur, sécurité,...), un processus estimé à $7.000. Puis, elles servent de batterie stationnaire et assurent différents services pour le réseau électrique. Cette utilisation est jugée moins contraignante car d'une part les batteries sont moins sollicitées (en puissance et en énergie), et d'autre part elles ne subissent pas les variations environnementales générées par la mobilité dans leur première vie.

Parmi les sources de revenu envisagées, la plus rémunératrice est la participation aux "services système", c'est-à-dire aider l'opérateur de réseau à assurer l'approvisionnement et la qualité du courant. Ce nouvel usage pourrait générer, pour la première année de "deuxième vie" stationnaire, $1.850 pour la participation au réglage de fréquence du réseau électrique et $60 pour la participation au pic de consommation. La participation au réglage de fréquence du réseau, sur une durée estimée de 706 heures annuelles, est serait rémunérée à la fois pour l'énergie (c$11,5/kWh) et la puissance mises à disposition (c$3,3/kW). On considère donc la réponse à des appels de puissance sur 30 minutes pour augmenter la puissance disponible des batteries - soit 8,6 kW au lieu de 4,3 kW-. La participation au pic de consommation aurait lieu quant-à-elle 150 heures par an pendant des plages de 4 heures à faible puissance. On estime le revenu unitaire à c$50/kWh.

Les autres applications envisagées rapporteraient $120 supplémentaires (toujours pour la première année de la deuxième vie). Celles-ci sont :
- un positionnement dans les marchés pendant quelques heures de l'année très favorables ("arbitrage");
- l'obtention de crédits carbone lorsque les batteries servent à emmagasiner de l'énergie éolienne à des moments de faible consommation où les turbines auraient dû être déconnectées.

Ainsi calculés et avec un taux d'actualisation de 7%, la valeur actualisée nette des revenus sur 10 ans atteint $5.000 soit 60% du prix initial du pack de batteries. Cette prise en compte d'un revenu potentiel futur se reflète sur le prix de la location sur cinq ans, qui est ramené à $90/mois soit 30% de moins que les $131/mois du scénario sans deuxième vie.

L'étude de sensibilité des différents paramètres montre que les gains augmentent lorsque le prix de départ du pack de batterie diminue. A l'inverse, diminuer le rapport durée de vie automobile/durée de vie stationnaire réduit les gains et peut même conduire à un prix de location mensuel plus importan dt, sans doute à cause du coût de reconditionnement. Le résultat est également sensible au taux d'actualisation. Enfin, bien qu'une capacité de batterie accrue signifie généralement une meilleure rentabilité, "bigger is not always better" d'après les auteurs.

En conclusion, la seconde vie des batteries semble possible et en tous cas, elle occupe fort les économistes souhaitant le développement des véhicules électriques. L'article des chercheurs de Berkeley récapitule l'étude récente de loin la plus fournie sur le sujet, mais il passe sous silence des points importants, comme par exemple :
- l'espérance de vie de la deuxième vie est incertaine et variable (ce qu'ils ont évoqué lors d'un atelier de travail [11]),
- pourquoi préférer le reconditionnement à $7.000 d'une batterie usagée lorsqu'une batterie neuve de même capacité coûterait $6.875 (= 4,3 kWh x $1.250/kWh + $1.500) et durerait plus longtemps ?

Qu'en pensent d'ailleurs les principaux acheteurs potentiels des batteries automobiles d'occasion, c'est-à-dire les compagnies d'électricité ? La réponse dans notre second article [12].

- [1] "La retraite à 80% de capacité pour les batteries? Certainement pas!", Bulletin électronique Etats-Unis n°229 : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65407.htm
- [2] Quel futur pour les métaux?, Philippe Bihouix & Benoît de Guillebon, livre EDP Science 2010 : http://www.edition-sciences.com/quel-futur-pour-metaux.htm
- [3] Article Wikipedia, consulté le 19 avr. 2011 :http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cyclage
- [4] L'émergence de la consommation collaborative, consocollaborative.com, 18 juil. 2010 : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/i9Hhh
- [5] Exemple de site internet de troc : http://www.france-troc.com/
- [6] Second-hand market as an alternative in reverse logistics, Iris Northeastern University, 2003 : http://works.bepress.com/gupta/95
- [7] Retread Tire Factory Tour, CalRecycle, 29 sept. 2010 :http://www.youtube.com/watch?v=M2_NYEvNrw0
- [8] Visite virtuelle d'une usine de rechapage, site internet Michelin, consulté le 14 avr. 2011 : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/jDU0b
- [9] Site du "Tire Retread and Repair Information Bureau" :http://www.retread.org/?page=AboutRetreading
- [10] Strategy for Overcoming Cost Hurdles of Plug-In-Hybrid Battery in California - Integrating Post-Vehicle Secondary Use Values, Transportation Sustainability Research Center (UC Berkeley), 22 fév. 2011 :http://76.12.4.249/artman2/uploads/1/SOCHPHB.pdf
- [11] Plug-In Electric Vehicle Battery Second Life, 7 mars 2011 :http://tsrc.berkeley.edu/Projects/energy_infra.html#AVFSecondLife
- [12] "Une 'seconde vie' pour les batteries : les acteurs ne sont pas tous convaincus", bulletin électronique Etats-Unis n°245 : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/66557.htm



Origine : BE Etats-Unis numéro 245 (2/05/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/66556.htm

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