lundi 11 avril 2011

La tarification dynamique de l'électricité serait-elle mieux acceptée en Californie si elle reflétait un choix du consommateur ?

Qu'est-ce que la tarification dynamique ?

Le principe de la tarification dynamique est simple et bien rodé en France. Parfois appelé tarification horo-saisonnière, ce modèle introduit par l'opérateur historique EDF s'appuie sur le concept d'heures "pleines" (HP) et d'heures "creuses" (HC). Il s'agit de différencier le prix de l'électricité selon l'heure de la journée afin de refléter les coûts de production de l'électricité, qui sont plus élevés aux heures où une grande partie de la population consomme. Le graphique ci-dessous illustre le phénomène de pic de consommation (en vert) ainsi que la contribution du secteur résidentiel (en rouge) pour la Californie.

EDF propose un tarif "Tempo" qui distingue de surcroît trois jours types dans l'année, ce qui donne 6 tarifs différents puisqu'il y a toujours la distinction HC/HP. Pendant 22 jours dits "rouge" l'électricité est exceptionnellement chère et pendant 43 jours "blanc" elle l'est un peu plus que lors des 300 jours restants ("bleu") où le tarif de référence est appliqué [1]. La télécommunication entre les centres de distribution d'EDF et les compteurs individuels est assurée par des séquences de moins de deux minutes dont le signal porteur est à 175 Hz. Cela nécessite un équipement un peu particulier chez les clients (compteur à deux cadrans dans le cas des tarifs HC/HP par exemple) [2].Enfin, comme les moyens de productions démarrés pendant les pics de consommation sont souvent les plus polluants, la tarification dynamique contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

En théorie, il est donc envisageable de répercuter les variations de coûts de production de l'électricité sur les prix payés par les consommateur au pas horaire, ceci fait d'ailleurs l'objet de démonstrateurs. Cependant en pratique, on se limite pour le moment à des plages de tarifications de plusieurs heures avec typiquement deux niveaux de prix (HC/HP en est un exemple).

Aux Etats-Unis l'insertion d'un tel système de prix fait actuellement débat. Alors que certains fournisseurs d'électricité sont persuadés que la tarification dynamique s'imposera dans le futur, d'autres pensent qu'elle ne pourra être introduite qu'en conjonction avec des compteurs intelligents et le contrôle automatique des appareils électriques [3]. En outre, la communication vers le client est un facteur déterminant lors de la mise en place d'une tarification dynamique. La terminologie utilisée aujourd'hui en anglais pose déjà un problème car elle est complexe; de nombreuses expressions sont employées par les spécialistes et elles reflètent parfois le point de vue du producteur plus que celui du client. Par exemple, le journal "GreenTech Media" propose de remplacer le terme "Demand Response" par l'expression plus parlante d'"Automated Peak Use Reduction" pour exprimer la modulation de consommation lors des pics [4].

En Californie, un état réputé pour tester en avant-première les solutions innovantes, les discussions se centrent aujourd'hui sur le bien-fondé d'appliquer la tarification dynamique comme option "par défaut" pour les clients [5]. Severin Borenstein, directeur à "l'University of California Energy Institute" et co-directeur de l'"Energy Institute à la Haas School of Business" de Berkeley se positionne aujourd'hui contre cette solution, contrairement à ce qu'il annonçait il y a une dizaine d'années. Il propose en alternative un schéma d'adoption volontaire, c'est-à-dire où l'option par défaut reste le tarif constant et où seuls les consommateurs qui en font la demande passent à la tarification dynamique. Le chercheur a présenté son modèle le 17 mars dernier à la conférence annuelle de son institut [6].

Une construction possible des tarifs dans le cas d'adoption volontaire de la tarification dynamique

D'après le professeur, on dénombre six barrières principales à surmonter pour une bonne intégration de la tarification dynamique :
- la mise en place par défaut,
- le traitement des consommateurs qui décident de sortir de cette tarification (seront-ils pénalisés?),
- les factures très élevées pour les clients dont le profil de consommation n'est pas adapté aux tarifs dynamiques,
- la volatilité des factures introduite par la variation de tarif,
- l'impact sur les consommateurs à faibles revenus,
- l'interaction avec la tarification progressive [13] en Californie.

D'ordinaire, pour fixer les prix dans le cas d'une tarification dynamique, on le considère comme option par défaut. Dès lors, le tarif constant facturé aux consommateurs qui quittent ce programme est défini à posteriori et sera pénalisant dans la plupart des cas. Le but de l'étude de Borenstein est au contraire de créer un système où ceux qui décident de ne pas opter pour la tarification dynamique ne seront pas perdant : même si au début le tarif risque d'augmenter un peu, ce ne sera que le reflet de la "prime d'assurance" à payer pour le bénéfice d'un tarif constant.

La construction proposée pour le tarif constant est de prendre la moyenne des tarifs dynamiques pondérée par les profils de charge de ceux qui ne choisissent pas la tarification dynamique. Ceci est illustré à la figure suivante [14].

Ainsi, une fois que ceux qui ont intérêt à opter pour le tarif dynamique l'auront choisi, le tarif constant sera calculé à partir du profil des consommateurs qui restent au tarif constant, donc ceux qui consomment le plus lors du pic de consommation. Le tarif constant devrait donc augmenter naturellement. Cependant à plus long terme, une forte adoption des tarifs dynamiques "aplatira" le pic et le système électrique global sera donc plus efficace et moins coûteux. De ceci devrait résulter une baisse de tous les tarifs et donc du tarif constant.

Le tarif dynamique envisagé comprend une distinction HP/HC avec, pour certains jours de l'année un prix "heures pleines extraordinaire" (HPE) plus élevé que le tarif HP de base. C'est en quelque sorte l'équivalent des jours "rouges" d'EDF.

Pour une meilleure acceptation, il est proposé de fixer au départ le différentiel de prix HC/HP à seulement un tiers du différentiel final à atteindre, puis d'augmenter graduellement pour atteindre l'objectif en trois ans. Le risque de cette solution est de surprendre ou d'ennuyer les clients qui observeront une volatilité croissante de leur facture.

=> L'importance de la facturation

Pour le professeur Borenstein, le système de facturation devrait être grandement amélioré. Chaque facture pourrait par exemple indiquer le prix que le consommateur aurait payé s'il avait l'autre tarification. Les consommateurs ayant opté pour les tarifs dynamiques verraient donc éventuellement l'intérêt qu'ils auraient à revenir au tarif constant. De plus, l'information sur les douze derniers mois devrait être mentionnée afin d'inscrire ce résultat dans le temps et de montrer les variations saisonnières.

Remarquons que ces propositions sont très proches des brefs rapports que l'entreprise "Opower" envoie aux clients des fournisseurs d'énergie qui contractent avec elle [9]. SMUD à Sacramento travaille par exemple avec "Opower" sur un programme pilote sur 35.000 clients [10].

=> Variations saisonnières

Le dernier objectif serait d'informer le consommateur sur la forte différence de prix entre l'été, où la consommation est importante en Californie en raison de la production d'air conditionné, et l'hiver. Actuellement, le système de tarification gomme partiellement cette variation. Le professeur Borenstein propose donc le paiement différé des factures importantes de l'été: ainsi, le client aura conscience des coûts réels grâce au signal-prix mais les variations seront quand même lissées au cours de l'année. Les crédits "revolving" sont par ailleurs fréquents dans les magasins de grande consommation donc bien connus des américains.

=> Résultats d'une modélisation empirique

L'impact de la mise en place du système de tarification décrite ci-dessus a été évalué à partir de données d'environ 1.000 foyers desservis par "Pacific Gas & Electricity" entre 2006 et 2009. Une conclusion en est que la présence des HPE motiverait le plus de clients à opter pour la tarification dynamique car le nombre de gagnants est sensiblement plus élevé que dans un système HP/HC classique. Cependant on observe un nombre plus important de "grands" perdants: 6,7% des consommateurs ayant adopté un tarif dynamique verraient leur facture augmenter de plus de 20%.

Enfin, la tarification dynamique volontaire aurait un impact limité sur le tarif constant, qui augmenterait de moins de 2% (la modélisation sur trois ans ne permet pas d'observer la chute globale des tarifs escomptée).

=> Commentaires d'autres experts

Le format intéressant de la conférence donnait l'opportunité à deux professionnels du même domaine de commenter en profondeur chaque présentation. Ainsi, Stephen Holland de l'"University of North Carolina" a-t-il commenté la présentation de Borenstein. Pour lui, il serait intéressant d'identifier QUI contribue le plus au pic de consommation et POURQUOI. Par ailleurs, le caractère "équitable" du système proposé ne lui semble pas assuré, puisque la volatilité des prix augmente considérablement et une analyse (notamment sociale) du type de client "grand perdant" parmi ceux qui ont optés pour les tarifs dynamiques serait pertinente. En effet, comme l'a souligné Michael Sullivan, même une augmentation de quelques points de la facture d'électricité peut se révéler dramatique chez les foyers à faibles revenus.

Conclusions

L'instauration de tarifs de l'électricité horo-saisonniers coexistants avec des tarifs constants ne semble pas impensable. Après tout, ceci est déjà mis en place pour les opérateur de téléphonie mobile. Alors pourquoi la transition vers les tarifs dynamiques semble difficile aux Etats-Unis alors que ce système est en place en France depuis de nombreuses années?

Risquons nous à expliquer ceci par quelques différences de situation:
- Aux Etats-Unis, l'utilisation de la tarification dynamique est quasi-systématiquement liée à l'installation de compteurs intelligents. Or, plusieurs distributeurs d'électricité rencontrent des problèmes dans le déploiement de ceux-ci [11] car ils sont globalement mal compris et mal acceptés par le public. Les usagers dénoncent notamment l'atteinte à la vie privée que représente un relevé horaire de leur consommation et l'impact négatif des ondes électromagnétiques sur la santé.
- Les américains sont habitués à consommer beaucoup et sans contrainte; ce qui n'est pas une différence culturelle négligeable. Mike Keesee du fournisseur SMUD pense d'ailleurs qu'il faudrait un signal-prix très élevé pour modifier le comportement des américains. Selon lui, seuls des programmes où les fournisseurs d'énergie peuvent contrôler certains appareils électriques directement chez les utilisateurs sont en mesure de faire baisser la consommation aux heures de pointes [12].
- D'après le site internet d'EDF, le tarif HP/HC est notamment intéressant pour les clients équipés de chauffage électrique à accumulation, de machine à laver programmable ou de chauffe-eau électriques. Or ceci représente une bien plus large proportion de la population en France qu'aux Etats-Unis, où les chauffe-eau et les système de chauffage sont traditionnellement au gaz.
- Enfin en Californie, comme mentionné précédemment, il est délicat de combiner la tarification dynamique avec les tarifs progressifs [13] sans complexifier l'information pour le consommateur.

L'avenir dira si les fournisseurs d'électricité parviennent à instaurer une forme de tarification dynamique aux Etats-Unis. Cependant on peut douter de l'ampleur de l'incitation donnée aux sur-consommateurs américains si le tarif constant en compétition avec les tarifs dynamiques est seulement majoré de 2% au tarif constant actuel (comme dans l'étude du Pr. Borenstein).

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[13] Dans cet Etat, à l'inverse du système communément répandu de prix régressifs, le prix unitaire du kWh augmente avec la consommation [7]. Ceci est rendu possible grâce à la dissociation des revenus des fournisseurs d'électricités de leur volume de ventes (decoupling) [8].

[14] Exemple purement fictif



- [1] Site internet d'EDF avec présentation des différents tarifs -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/JQqVQ
- [2] Décodeurs d'impulsions EJP EDF (d'après un article de J.M. Delaplace paru dans Electronique Radio-Plans en 1994), consulté le 5 avr. 2011 -http://matthieu.benoit.free.fr/pulsadis.htm
- [3] Why Consumers Will Love Dynamic Pricing, GreenTech Media, 23 mars 2011 -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/OxLC2
- [4] It's Time to Give Dynamic Pricing a New Name, GreenTech Media, 18 jan. 2011 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Al6tS
- [5] Will we get Time of Use Pricing?,GreenTech Media, 25 mars 2011 -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/h0AuD
http://linky.erdfdistribution.fr/
- [6] Annual Power Conference on Energy Research and Policy, Haas School of Business at UC Berkely, 17 mars 2011 - http://ei.haas.berkeley.edu/power.html
- [7] How Your Electricity Bill is Calculated, California Public Utilities Commission, juil. 2010 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/2jcl3
- [8] California's Decoupling Policy, California Public Utilities Commission, sept. 2009 - http://www.fypower.org/pdf/Decoupling.pdf
- [9] Exemple de bilan mensuel sur la consommation d'électricité, site de Opower -http://www.opower.com/Products/HomeEnergyReport.aspx
- [10] Entretien avec Bruce Ceniceros à Sacramento Municipal Utility District (SMUD), 4 avr. 2011
- [11] PG&E Will Offer Opt-Out for More Money, GreenTech Media, 24 mars 2011 -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/50vgT
- [12] Entretien avec Mike Keesee à Sacramento Municipal Utility District (SMUD), 4 avr. 2011



ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 243 (8/04/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/66446.htm

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