lundi 27 février 2012

Production des batteries pour véhicules électriques aux Etats-Unis, prochain sujet de discorde avec la Chine

Le véhicule électrique, enjeu stratégique

Lors de son discours annuel au congrès le 25 Janvier 2011 (le discours sur l'état de l'union) Barack Obama a annoncé sa volonté d'avoir un million de véhicules électriques sur les routes en 2015. Pour réussir à atteindre ce nombre le président a proposé pour le budget 2013 de relever l'aide accordée pour l'achat de chaque véhicule de 7500$ à 10000$ [1]. Cet objectif ambitieux démontre la volonté de l'administration de faire des Etats-Unis le leader mondial dans les technologies réduisant la dépendance aux importations pétrolières. De plus, les véhicules électriques (incluant les hybrides rechargeables, les voitures électriques à extension d'autonomie et les 100% électriques) sont un moyen de promouvoir une mobilité durable et d'améliorer le respect de l'environnement, tout en créant des emplois. [2]

La politique du gouvernement est donc de favoriser la ré-industrialisation de ce secteur, en finançant la construction d'usines. Mais sur le terrain, on observe une autre tendance : de nombreux acteurs américains font le choix de fabriquer tout ou partie de leur production... en Chine car c'est un moyen pour eux d'être compétitif et de survivre malgré la guerre des prix. Certes, certains acteurs jugent encore risqué de s'aventurer en Chine, à cause des questions de propriété intellectuelle, mais plusieurs startups semblent avoir trouvé une solution à ce problème.

La batterie, clef de la mobilité propre

La batterie est l'élément essentiel du véhicule électrique. Alors que le prix d'achat représente une barrière à l'adoption de ce type de véhicule, elle compte pour une partie importante du prix (environ un tiers pour un véhicule 100% électrique ). C'est pourquoi il est stratégique de parvenir à réduire le coût des batteries et d'augmenter leur qualité (capacité, durée de vie) afin d'accroître la part de marché des véhicules électriques. Les bénéfices seraient partagés, puisque les batteries sont également indispensables au fonctionnement d'autres moyens de transport dits propres (bus, tramway...) et de certaines industries. [3]

Néanmoins, pour atteindre les objectifs de nombre de véhicules sur les routes fixés par le gouvernement, des innovations technologiques et des améliorations dans les procédés de fabrication sont encore nécessaires. Notons que contrairement à la micro-électronique où l'évolution est continue car menée par la diminution incrémentale de la largeur de gravure des circuits, le développement des batteries est graduel. Les étapes d'avancement sont liées à l'utilisation de nouveaux métaux ou à de nouvelles méthodes et cette différence impose une période d'apprentissage à prendre en compte lors du passage à la production. [4]

Véhicule sur le stand Panasonic, lors du CES 2012 à Las VegasCrédits : Sébastien Rouif pour la MS&T

La production industrielle, créatrice d'emploi

La production de biens manufacturés est en perte de vitesse aux Etats-Unis : en 10 ans, 5 millions d'emplois de ce secteur ont été perdus, soit un sur trois [3]. En conséquence, un des axes du plan de relance pour stimuler la croissance et l'emploi est de réindustrialiser le pays. Dans cette optique, l'intérêt du gouvernement américain pour le secteur des batteries est d'autant plus compréhensible que l'écosystème entourant cette industrie est large et que de nouvelles idées ou applications pourraient émerger, comme c'est le cas dans les semi-conducteurs en Asie. C'est de surcroît un moyen de revitaliser les régions de l'industrie automobile durement touchées par les crises récentes. Ainsi, selon la présidente sortante du MIT, Susan Hockfield : "la fabrication est simplement un formidable moteur de création d'emploi". Et dans le cas des batteries la gamme d'emploi serait variée : scientifiques spécialisés dans les matériaux, sociétés d'exploitations de minerais, sous-traitants pour la création de robots d'usines, ou encore ingénieurs et ouvriers travaillant à la production dans les usines.

Un retard coûteux

En 2009 les Etats-Unis produisaient moins de 2% des batteries lithium-ion du monde, un chiffre faible pour un pays qui se targue d'être le champion de l'innovation. Pour palier ce retard, l'objectif est d'atteindre 40% des parts de marché en 2040 car, comme l'exprime le directeur du programme ARPA-E (Advanced Research Project Agency - Energy) Arun Majumdar, les leaders de la production des batteries lithium-ion seront à la tête d'une "grande partie de la prospérité économique mondiale". Le gouvernement a donc lancé deux programmes à travers l'American Recovery and Reinvestment Act (ARRA) [5] :
- 2,4 milliards de dollars de prêts garantis ont été attribués sous forme de prêt pour trois des premières usines de production de batteries pour véhicules électriques dans le Tennessee, le Delaware, et en Californie.
- 30 usines qui produisent des batteries, moteurs et autres éléments des véhicules électriques ont reçu une aide financière directe. En contrepartie, les sociétés lauréates ont dû trouver un financement égal au montant de la bourse qui leur a été accordée. Ce mécanisme devait permettre la mise en place de capacités de production aux Etats-Unis capable de produire des batteries pour 50.000 véhicules d'ici la fin 2011 et 500.000 batteries par an d'ici 2014.

Cet effort d'investissement doit être d'autant plus massif que de son côté la Chine possède une capacité - et une volonté - de financer le secteur des énergies propres sans commune mesure. Selon Ann Marie Sastry, professeur de mécanique à l'université du Michigan et directrice de Sakti3 (une jeune société de batteries), les milliards mis dans l'industrie des batteries sont le prix du ticket d'entrée nécessaire pour entrer dans la course et rattraper le retard pris sur les fabricants asiatiques. [6]

Investir dans les technologies d'avenir

Une solution portée par l'administration Obama pour assurer le succès au long terme de l'industrie américaine est de "sur'innover" en développant les technologies de demain et en investissant massivement dans la recherche fondamentale et l'innovation. Par exemple, un des objectifs de l'Advanced Research Projects Agency-Energy lors de sa création en 2007 par le Department of Energy (DoE) a été le financement de projets de stockage d'énergie pour les véhicules propres sur des technologies dites de rupture (programme BEEST). Ces technologies à fort potentiel mais dont la probablité d'échec est importante devraient permettre de rendre accessible le véhicule zéro émission à la majorité des consommateurs grâce à une capacité de stockage de plus de 480 km. Ce programme a financé 10 projets pour un montant de 35M$ [7].

Des stratégies mitigées pour les nouveaux entrants

Le plan de financement de l'ARPA-E ainsi que d'autres bourses sont parvenues à redynamiser le secteur de la recherche et de l'innovation dans le stockage d'énergie. Cependant, entre les projets à haut risque (ARPA-E) et les producteurs déjà sur le marché (ARRA) de nouvelles technologies émergent également des startups. En revanche, la visite d'une dizaine de sociétés naissantes dans la Silicon Valley nous a permis de comprendre que ces dernières restent toujours tournées vers l'Asie, les seuls éléments les retenant parfois étant le stade d'avancement de la technologie et le respect de la propriété intellectuelle. Quelques exemples de modes opératoires :

1. Société type A : Grâce à l'expérience de son équipe de management, qui a déjà créé et fermé trois sociétés de batteries, l'entreprise a dès sa création eu pour intention de produire en Chine. Ainsi, après des étapes de recherche effectuée grâce à des installations disponibles dans les universités américaines et avec des contrats du gouvernement (DoE, DoD, NASA...), lorsque la technologie a atteint une maturité suffisante la première usine a ouvert à Gan Zhou en Chine. Par la suite, des investisseurs chinois sont entrés dans le capital. Une partie du développement se fait maintenant en Chine et l'équipe dirigeante alterne entre la Chine et les Etats-Unis. D'ailleurs la communication est facilitée par le fait que plus de la moitié de cette équipe est d'origine chinoise. Une nouvelle usine chinoise plus grande est à venir.

2. Société type B : La technologie de cette société a été développée en partie grâce à des financements de l'ARPA-E, qui a fixé un cahier des charges très ambitieux. La propriété intellectuelle constitue la base de l'entreprise et est donc un enjeu majeur. Néanmoins, si la production des éléments critiques sont encore produits dans les laboratoires de la société aux Etats-Unis l'assemblage, moins stratégique, se fait en Chine où la société trouve de bons fournisseurs et de la main d'oeuvre qualifiée dans le domaine.

3. Société type C : L'offre de la société concerne les procédés de fabrication et la réduction des coûts de fabrication. La solution trouvée est d'avoir mis sous licence les spécialités de la société. Toute la production est faite en Chine chez un tiers et contrôlée par des employés locaux et expatriés de la startup.

4. A123 : lors de la recherche de financement pour développer la production de ses batteries, les investisseurs ont convaincu le directeur de s'implanter en Chine car le savoir-faire et les fournisseurs y étaient présents contrairement aux Etats-Unis. C'était également un moyen pour eux de limiter leur investissement. Maintenant A123 a cinq usines en Chine mais en subit le retour du bâton : la fuite des idées et de la conception chez de nouveaux concurrents. Grâce aux aides du gouvernement (ARRA) A123 a construit une usine aux Etats-Unis et des fournisseurs nécessaires se sont également développés. [8]. Malheureusement les reports successifs de projets du constructeur automobile Fisker ont obligé A123 à licencier du personnel. Les conséquences seraient encore plus importantes si Fisker venait à faire faillite. [9]

Une augmentation de la demande pourrait-elle favoriser la ré-industrialisation ?

Les programmes d'innovation sur les technologies de stockage lancés par le gouvernement commencent à porter leurs fruits. Cependant l'écosystème et le savoir-faire, bien que redynamisés, restent encore fragiles et n'attirent pas les nouveaux entrants. Si les producteurs de batteries continueront à produire en quantité pour faire vivre les usines américaines, les jeunes entreprises innovantes chercheront plutôt à développer leurs innovations à des coûts très compétitifs ce qui les poussera vers l'Asie. De surcroit, elles ont besoin pour assurer leur industrialisation d'usines flexibles et donc peu automatisées ( une main d'oeuvre peu chère est alors d'autant plus favorable).

Une demande plus importante du côté des constructeurs automobiles pourrait éventuellement changer la donne. En effet, avec l'augmentation des volumes en jeu la gestion de la chaine logistique deviendrait essentielle et les producteurs de batteries américains ayant reçus des subventions auraient alors un nouvel avantage de poids face à la Chine. Dans ce cas, même les jeunes entreprises innovantes pourraient trouver de l'intérêt à produire sur le sol américain, à condition d'y trouver un savoir faire équivalent à celui disponible en Asie. L'écosystème serait alors continu : recherche, start-ups, lignes de production pilotes, usines et consommateurs.

Afin de développer le marché, l'administration Obama envisage, comme nous l'indiquions au début de cet article, d'augmenter encore les aides accordées à l'achat des véhicules électriques. Dans l'énergie solaire, certaines régions (état de l'Ontario au Canada, Inde et Italie) proposent des tarifs d'achat uniquement aux installations dont les composants ont été au moins partiellement produites localement, ou une bonification du tarif pour celles-ci [10] et le gouvernement français a récemment émis l'hypothèse de suivre cet exemple [11].

Se pourrait-il qu'un jour un système similaire s'applique dans le cas des véhicules électriques, avec des subventions à l'achat plus importantes pour les voitures dont les batteries sont fabriquées localement ? Bien qu'improbable, une telle solution n'est pas totalement hors de question, car le gouvernement américain a montré à plusieurs reprises sa volonté de ne pas fléchir dans la guerre commerciale avec la Chine dans le domaine des écotechnologies [12].

Conclusion

Ainsi, la réussite de la ré-industrialisation dans le secteur automobile américain en utilisant le marché, nouveau, du véhicule électrique, semble donc reposer sur le défi de parvenir de façon plus ou moins concomitante aux trois phénomènes suivants :
- l'augmentation de la demande des constructeurs automobiles,
- la montée en qualification de l'écosystème de production et d'industrialisation de batteries aux Etats-Unis
- à plus long terme, l'intégration dans les véhicules de nouvelles générations de batteries venant de jeunes entreprises américaine.

En France les enjeux de ré-industrialisation sont similaires [13], et dans le secteur des batteries il semble que l'industrie réponde au défi et se revitalise. Le géant français du secteur SAFT possède trois usines sur le territoire, à Bordeaux, Poitiers et Nersac. Les batteries lithium polymères destinées à la Blue car du groupe Bolloré (utilisées à Paris dans le système de partage Auto'Lib) sont produites à Ergué-Gabéric en Bretagne. [14] Enfin Renault ouvrira, après de multiples perturbations, son usine de batteries à Flins dans les Yvelines en 2014. [15] Ce regain de dynamisme est un réel atout pour l'application de l'excellente recherche française en la matière et la création d'un véritable écosystème leader dans le domaine. Rappelons que cette industrie sera responsable "d'une grande partie de la prospérité économique mondiale".



ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 279 (24/02/2012) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69214.htm


- [1] Plugincars. (15/02/2012) President Obama Proposes $10,000 Electric Vehicle Incentive - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/N6w3F
- [2] Department of Energy. (2011, Dec.) One million electric vehciles by 2015 -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/c7GNr
- [3] New-York Times. (24/08/2011) Does America Need Manufacturing? -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/JuNdM
- [4] N. Y. Times. (6/9/2010) When It Comes to Car Batteries, Moore's Law Does Not Compute - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/f7rTU
- [5] U. DoE. (108/2010) The Recovery Act: Transforming the American Economy Through Innovation - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/E47hm
- [6] The Christian Science Monitor. (15/7/2011) Why Obama is putting so much stock in battery technology - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/b15Rw
- [7] Arpa-e. (9/12/2011) ARPA-E - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/KGJlF
- [8] Los Angeles Times. (08/05/10) Fighting for 'made in USA' -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/1HO6P
- [9] P. Cars. (7/2/2012) Fisker Halts Project Nina Development, Lays Off US Workers - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/CYKbh
- [10] Mission pour la Science et la Technologie. (01/02/12) Rapport de la mission "Solar Tech Tour 2011" - Politique et organisation de la recherche photovoltaïque aux Etats-Unis - http://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm12_003.htm
- [11] Actu-environnement. (15/02/12) Un solaire "made in France" ? -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/nk3Yf
- [12] GreenTech Media (06/11/11) Obama, Suntech, and SolarWorld on the Solar Trade Rift - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/8xru9
- [13] B. Car. The Bolloré Group : creators of technology -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/9Nsbe
- [14] L. Monde. (7/7/2011) Flins : le FSI n'investira pas dans l'usine de batteries électriques de Renault - http://bit.ly/wMbzSz
- [15] Patrick Artus et Marie-Paule Virard (10/11) La France sans ses usines -http://www.amazon.fr/France-sans-ses-usines/dp/2213665974

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