vendredi 21 août 2009

Droits d'auteur et Internet ?

Ceci n’est pas une licence globale
par Astrid Girardeau

Favorable à la licence globale, Jacques Attali réagit sur les différentes réflexions actuelles à propos du financement de la culture.
Quinze ans après l’essor du web, et dix ans après la création de Napster, les industries culturelles commencent timidement à adopter une nouvelle approche vis-à-vis du téléchargement de fichiers protégés par le droit d’auteur, et plus généralement d’Internet. Pas de révolution idéologique ou de volonté réelle de comprendre les nouveaux usages et besoins des consommateurs. Simplement, elles ont fini par réaliser que le tout répressif ne marche pas (en France, la loi Dadvsi de 2006 n’a jamais été appliquée, et la loi Hadopi est globalement considérée comme inefficace avant même sa mise en œuvre). Malgré les technologies existantes de surveillance ou de filtrage, la plupart ont compris qu’il était impossible de tout contrôler. Se demandant du coup comment récupérer une partie de cette manne financière qui leur échappe.

C’est là qu’intervient la fameuse licence globale. A l’origine, il s’agit d’une autorisation donnée aux internautes d’accéder et d’échanger librement des fichiers dans un cadre non commercial. Ceci en contrepartie d’une rémunération payée via l’abonnement au fournisseur d’accès Internet (FAI), puis reversée aux ayants droits. Déjà présente dans le projet de loi Dadvsi de 2005, l’idée suscita de houleux débats — la Sacem, la SACD mais aussi certains socialistes y sont hostiles — avant d’être rejetée par les députés. En octobre dernier, Philippe Aigrain, informaticien et co-fondateur de la Quadrature du Net a affiné le concept, notamment les mécanismes de collecte et de répartition des sommes perçues, sous le terme de contribution créative.

Mais, depuis quelques temps, l’expression « licence globale » est réutilisée pour qualifier tout ce qui ressemble de près ou de loin à une taxe ou à un abonnement payés par les FAI et/ou les internautes. Méfiez-vous des contrefaçons ! alerte d’ailleurs la Quadrature du Net.

La rentrée devrait être marquée par la suite et fin ( ?) de la saga Hadopi, avec le vote du volet Sanctions autour du 14 septembre. Mais aussi par la tenue de plusieurs tables rondes autour de la création à l’ère d’Internet. Telles les Assises de la création du numérique de la plate-forme Création Public Internet, les Etats-généraux de la création à l’âge numérique souhaités par les socialistes, ou encore le fameux Grenelle du financement artistique voulu par le ministre Frédéric Mitterrand. Et la Quadrature d’indiquer : « alors qu’ils refusaient de discuter des financements mutualisés, cela fait des années que les penseurs patentés des industries culturelles ont conçu un scénario qui les fait rêver : une taxe sur les fournisseurs d’accès sans reconnaissance des droits pour les internautes ». L’organisation, qui milite pour une gouvernance démocratique et transparente de la répartition des sommes collectées, prévient : « si vous entendez parler de taxes sur les profits des FAI, de plateformes de téléchargement autorisées, méfiez-vous. »

C’est justement l’idée avancée par Laurent Petitgirard, ex-président du Conseil d’administration de la Sacem. Dans une récente interview au magazine du Conseil Général des Haut-de-Seine, il évoque une Licence Musique. « Il ne s’agirait évidemment pas de légaliser l’échange sauvage de fichiers via le peer-to-peer, mais de fournir une licence qui donnerait accès à des sites de téléchargement correspondant aux différents fournisseurs d’accès et fournis en fichiers sains par les producteurs, où l’abonné pourrait télécharger toutes les œuvres qu’il voudrait ». Avec dix-huit millions d’abonnés au haut débit en France, on arriverait à près d’1,3 milliard d’euros par an, calcule Laurent Petitgirard. Soit près du double des perceptions de la Sacem en 2008.

Pour une taxe obligatoire de six euros par mois « partagés par l’internaute et son fournisseur d’accès » l’abonné aura accès au site officiel de téléchargement de fichiers musicaux de son FAI. A quels catalogues ? Quid des artistes non-enregistrés à la Sacem (par exemple sous licence libre) ? Et de tous les contenus autres que la musique (films, jeux vidéos, etc.) ? On est donc loin, très loin du concept et la philosophie de la contribution créative.

Pas très étonnant finalement. En avril dernier, dans une interview à Resmusica, le compositeur disait rejeter « les idées de licence globale » qui, selon lui, « bafouent le droit exclusif ». Et si, jusque dans nos forums, il insiste qu’il s’exprime à titre personnel, l’idée était déjà publiquement avancée, en juin 2008, avec Bernard Miyet, président du directoire de la Sacem, comme plan B à (l’échec de) la loi Hadopi. Ils évoquaient alors ainsi la mise en place des sites dédiés au téléchargement légal, où la Sacem rémunérait les artistes à partir du décompte des titres téléchargés. « Bien entendu, la Sacem ne monte pas encore trop ouvertement sur ce terrain puisque cela reviendrait à s’opposer frontalement à l’Hadopi et donc à Nicolas Sarkozy. Mais parions dès à présent que les assises dévoilées par Frédéric Mitterrand seront le terreau parfait pour planter cette graine-là » analyse Marc Rees sur PC Inpact.

Malgré une certaine caricature : anti-Hadopi = pro-licence globale et vice-versa, et à côté des oppositions politiciennes (la licence globale ayant été soutenu par la gauche), on trouve quelques réfractaires à l’idée de licence.

« Nous allons inaugurer une nouvelle race de réseau, qui d’infrastructures essentielles au service de tous va devenir un réseau de distribution de biens « culturels » autorisés, au profit de quelques uns écrit ainsi Jean-Michel Planche, sur son blog. Allant plus loin, Laurent Chemla y voit l’expression d’une « sacrée hypocrisie qui sous-tend tout ce débat », qui est de « sauvegarder le revenu des artistes floués par le téléchargement illégal ». « Mais pourquoi ? » s’interroge t-il sur Mediapart. « Un fait : aucune étude indépendante n’a jamais pu établir de lien entre piratage et baisse des ventes. Dans le pire des cas ce phénomène ne change rien, dans le meilleur on s’aperçoit qu’en réalité les plus grands pirates sont aussi les plus grands acheteurs. »

Quelle(s) stratégie(s) adopter face à de nouvelles technologies qui réduisent la copie à un coût quasi-nul, et rendent inutiles les métiers d’éditeur et de distributeur ? Répression, licence globale, abonnement limité, rien du tout ? Ce sera l’un des sujets au cœur des différentes tables rondes prévues à cette rentrée. Mais ces rencontres ne vaudront que si l’ensemble des acteurs (artistes, sociétés d’auteurs, éditeurs, majors, FAI et opérateurs, associations de consommateurs, représentants d’utilisateurs, institutions, etc.) sont conviés à y participer. Et si, comme le souligne Jacques Attali, tout le monde accepte que les choses soient « complétement mises à plat ».

SOURCE : ecrans.fr

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