Après deux ans et demi de travail, la mesure d'audience de l'Internet mobile devrait voir le jour en France en octobre 2010. L'Hexagone deviendra ainsi le second pays au monde à avoir mis en place une mesure officielle de l'Internet mobile, après le Royaume-Uni. Médiamétrie, retenu mi-2009 face à GFK et Comscore lors d'un appel d'offres, est chargé de mettre cette mesure en place avec Orange, SFR, Bouygues Telecom et l'Association française du multimédia mobile (AFMM).
La particularité de cette audience sera d'être exhaustive, contrairement à celle de l'Internet fixe, qui repose sur l'analyse de panels d'internautes. La méthodologie retenue repose en effet sur l'utilisation des logs de connexion (journaux d'activité répertoriant toutes les connexions des abonnés) des trois opérateurs. Cet outil sera en mesure d'identifier chaque connexion à l'Internet effectuée par le réseau d'Orange, SFR ou Bouygues Telecom. Et ce, qu'il s'agisse d'un accès à un site Internet fixe, mobile, ou à une application.
Médiamétrie fournira des indicateurs comparables à l'Internet fixe, comme le nombre de visiteurs, de visiteurs uniques et de pages vues. Dans un second temps, l'institut intègrera une notion de durée de visite. Les premiers chiffres publiés porteront sur l'ensemble du troisième trimestre (de juillet à septembre) et non sur un seul mois. Médiamétrie n'a pas encore arrêté de date à partir de laquelle la mesure d'audience deviendra mensuelle. Ce ne devrait toutefois pas être le cas avant 2011. "C'est un produit qui démarre, donc nous avons besoin de l'installer et de faire en sorte que chacun puisse s'approprier les chiffres", explique Laurent Battais, directeur exécutif performance et cross média de Médiamétrie.
Pour financer la mise en place du système de mesure, chacun des trois opérateurs mobiles devrait investir près d'un million d'euros sur la période 2009 - 2011, soit une enveloppe totale de trois millions d'euros. Médiamétrie de son côté ne communique pas sur les investissements nécessaires à la mise en place de cet outil. L'entreprise a cependant annoncé fin 2009 qu'elle investirait entre 25 et 30 millions d'euros dans les trois ans à venir dans de nouveaux services, parmi lesquels l'audience de l'Internet mobile.
Le principal enjeu de la mesure d'audience de l'Internet mobile est de favoriser le décollage du marché de la publicité sur mobile. Sur 23 pays européens inclus dans l'étude Adex de l'IAB Europe, seuls 7 pays font ressortir des dépenses sur mobile, qui varient en 0,1 % et 4 % des investissements publicitaires en ligne. D'après le baromètre annuel 2009 du Syndicat des Régies Internet (SRI), le chiffre d'affaires net de la publicité mobile (hors SMS) s'élevait à 23 millions d'euros en 2009 en France, soit seulement 1 % du marché publicitaire online global, en croissance de 30 % par rapport à l'année précédente.
L'absence de mesure officielle constitue un frein au développement du marché. "Actuellement, la plupart des annonceurs ne vont pas sur le mobile soit parce que leurs agences média ne connaissent pas ce support, soit parce qu'elles ne savent pas en parler, explique Nicolas Guieysse, délégué général de l'AFMM. Selon lui, l'impact de la commercialisation des premiers chiffres par Médiamétrie sur les investissements publicitaires sur le mobile devrait se faire sentir dès 2011, probablement au second semestre.
Cette situation est déjà en train de changer. Laurent Battais, directeur exécutif performance et cross média de Médiamétrie, estime que les agences médias montrent de plus en plus d'intérêt pour le mobile. "Les récents rachats des régies mobiles Admob et Quattro Wireless par Google et Apple aux Etats-Unis contribuent également à une prise de conscience générale de l'importance de ce canal. La mesure de l'audience mobile consacrera le mobile comme un média à part entière."
Médiamétrie a bien compris l'enjeu publicitaire de la mesure d'audience du mobile. L'entreprise va lancer dès le mois de septembre une réflexion sur l'intégration des audiences mobiles dans les outils de médiaplanning et proposer ce service début 2011. Médiamétrie prévoit par ailleurs d'être en mesure, dès juin 2011 d'intégrer l'Internet mobile dans sa mesure d'audience cross média, afin de permettre aux annonceurs et agences de mieux appréhender le canal mobile.
Si la construction d'une mesure à partir des logs des opérateurs a le mérite d'être exhaustive, elle pose un problème de confidentialité. La méthodologie retenue par Médiamétrie et les trois opérateurs et validée par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) prévoit l'anonymisation des logs de connexions qui transmis à Médiamétrie. Ce qui empêche la qualification démographique des audiences des sites et applications mesurés. Un élément pourtant essentiel pour permettre aux éditeurs de sites et d'applications pour valoriser leur audience auprès des annonceurs et agences médias.
Pour être en mesure de fournir des données démographiques, Médiamétrie recrute actuellement un panel de 10 000 mobinautes, dont les usages seront scrutés. Les données issues de ce panel seront ensuite comparées à celles fournies par les opérateurs. Pour garantir la confidentialité des membres de ce panel, les opérateurs mobiles n'auront pas accès aux informations du panel. Un tiers de confiance, extérieur à Médiamétrie et aux opérateurs, sera chargé de ce travail de rapprochement.
Médiamétrie sera, dès la publication des premières audiences en octobre, en mesure de qualifier l'audience des sites et applications en termes de catégories socioprofessionnelles, de provenance géographique (régions UDA), de tranches d'âge et de sexe. Cela n'a pas été le cas au Royaume-Uni, où Comscore, après avoir officiellement publié les premiers résultats officiels fin 2009 à partir des logs des opérateurs, commence à peine à recruter un panel. 2 000 individus devraient le composer, ce qui restera suffisant pour obtenir un nombre limité de données démographiques.
Le choix de reposer sur les logs des opérateurs mobiles pour établir une mesure d'audience fiable de l'Internet mobile pose un autre problème : celui de la prise en compte du trafic généré via des connexions sans fil. Un téléphone relié en wi-fi se connecte via un point d'accès qui échappe à l'opérateur mobile puisque qu'il ne passe pas par un réseau mobile, mais par le réseau fixe d'un fournisseur d'accès à Internet.
Sans prise en compte du trafic wi-fi, la mesure d'audience de l'Internet mobile ne peut prétendre être complètement représentative des usages de l'Internet en situation de mobilité. Au Royaume-Uni, Paul Goode, responsable des relations avec l'industrie de Comscore Europe, estime qu'environ 20 % des connexions sur le Web via un mobile se font en wi-fi. "La plupart des mesures que nous effectuons font ressortir une fourchette située entre 10 et 20 %. Mais nous constatons un usage accru du wi-fi surtout pour certains terminaux, affirme-t-il. Par exemple 50 % des utilisations de l'Internet sur iPhone se font en wi-fi."
Pour intégrer cet usage à l'audience globale du Web en mobilité, Médiamétrie devra compléter l'analyse des logs des opérateurs mobiles par une estimation du trafic wi-fi calculée grâce à différents outils de mesure d'audience site-centric (mesure basée sur le site Internet, contrairement à la mesure user-centric, basée sur un panel d'internautes). La différence entre la part du trafic mobile fournie par les outils site-centric et les volumes d'audiences des logs d'opérateurs fournira une indication de la part du trafic wi-fi.
Dans un premier temps, Mediamétrie utilisera les données issues de son service de mesure site-centric, eStat. L'institut est cependant en train d'étudier la certification d'autres outils site-centric concurrents pour affiner les estimations du trafic wi-fi. Cette part de l'audience ne devrait cependant pas être intégrée dans la mesure globale avant début 2011.
Contrairement à l'Internet fixe, la mesure d'audience sur mobile ne sera assurée que par un seul acteur, Médiamétrie, qui sera le seul à accéder aux logs des opérateurs et donc à commercialiser son outil auprès de l'ensemble des acteurs concernés (éditeurs, agences, annonceurs). Concrètement, Médiamétrie disposera donc d'un monopole de la mesure d'audience de l'Internet mobile.
Laurent Battais de Médiamétrie rappelle que la pluralité des acteurs de la mesure d'audience sur l'Internet fixe reste une exception par rapport aux autres médias. En télévision, comme en radio et en presse, un seul acteur est chargé de certifier audiences et chiffres de diffusion. "Pour qu'un marché publicitaire fonctionne bien, il a besoin d'une sorte de monnaie unique, permettant de valoriser les audiences des éditeurs, affirme-t-il. C'est d'autant plus important lorsque ce marché est encore naissant, comme c'est le cas pour l'Internet mobile."
Nicolas Guieysse, de l'Association française du multimédia mobile (AFMM), rappelle de son côté la difficulté et le coût de la mise en place d'un tel outil, à la fois pour Médiamétrie et pour les opérateurs mobiles. Ces derniers ont en effet dû investir à la fois pour harmoniser leurs logs, mais également pour en industrialiser l'anonymisation et la production quotidienne. "Il est difficilement imaginable que les opérateurs acceptent de renouveler ce travail si un nouveau venu souhaite mettre au point sa propre mesure", explique le délégué général de l'AFMM.
Nicolas Guieysse rappelle par ailleurs que le contrat liant Médiamétrie et les opérateurs n'est pas valable pour une durée illimitée. Si cette durée reste confidentielle, elle est suffisamment longue pour garantir la stabilité dans le temps de la mesure officielle. "Mais rien n'est irréversible, explique-t-il. Médiamétrie n'assurera peut-être pas cette mesure ad vitam æternam."
Avant la France, le Royaume-Uni a été le premier pays à mettre en place un système de mesure d'audience de l'Internet mobile. Comscore, qui a été retenu pour mettre en place cet outil avec quatre opérateurs mobile (O2, Orange, T-Mobile, Vodafone et 3, qui représentent plus de 90 % du marché mobile outre-Manche) et la GSM Association (GSMA). Les premiers résultats ont été publiés en février dernier, pour l'audience du mois de décembre 2009. Trois années de discussions et de travaux ont été nécessaires pour mettre en place ce service.
A quelques différences près, la méthodologie retenue pour la mesure française s'inspire de l'exemple britannique : celui de la collecte des logs de connexions des mobinautes auprès des opérateurs, enrichi de données démographiques issues d'un panel (qui est encore en cours de constitution au Royaume-Uni). "La mesure d'audience uniquement à base de panels, comme c'est le cas pour l'Internet fixe, ne peut s'appliquer au mobile car il n'est pas possible de placer un outil de mesure sur n'importe quel terminal", explique Paul Goode, de Comscore.
Les premiers résultats publiés montrent que le réseau social Facebook a été le site mobile le plus visité décembre au Royaume-Uni devant les différents sites de Google et les portails des opérateurs. Signe que l'usage de l'Internet en mobilité passe moins par ces acteurs ? Selon Paul Goode, "les smartphones ont changé la donne. Dans un monde fait de Wap, les opérateurs constituaient la principale porte d'entrée au Web. Plus les terminaux utilisés sont développés et ouverts, plus les mobinautes s'émancipent des portails d'opérateurs et des moteurs."
Le Royaume-Uni et la France ne sont pas les seuls pays à s'intéresser à la mesure d'audience. En Allemagne, Nielsen a remporté mi-2009 (en même temps que Médiamétrie en France) l'appel d'offres lancé par les opérateurs et travaille toujours à la constitution de son offre. Le projet semble pour l'instant avoir été retardé par la Cnil allemande, pour des questions techniques portant sur la confidentialité des données personnelles des mobinautes.
En dehors des initiatives britannique, allemande et française, aucun autre appel d'offres n'a été lancé en Europe. Certains pays devraient cependant rapidement sauter le pas, comme l'Espagne, l'Italie, le Danemark et les Pays-Bas. "Quel que soit le pays, les méthodologies retenues seront certainement les mêmes qu'en France et au Royaume-Uni, estime Nicolas Guieysse, de l'AFMM. La GSMA a donné le 'la' au Royaume-Uni, et il serait assez peu probable de voir émerger une méthodologie moins précise qu'un mélange de logs d'opérateurs et de panel."
Reste un grand absent : les Etats-Unis où, malgré quelques expérimentations isolées, aucune mesure officielle n'existe. Chez Comscore, Paul Goode reconnaît le retard américain sur la mesure d'audience, mais estime qu'il y a un réel intérêt pour le sujet outre-Atlantique. "Pour lancer une mesure vraiment fiable, il faut que tous les opérateurs y participent et le plus difficile est de parvenir à un accord entre tous les opérateurs sur l'industrialisation de la collecte des logs, tous les jours, pour tous leurs abonnés. Les Etats-Unis ont été moins rapides que les Européens sur ce point. Mais une fois qu'ils auront compris l'intérêt financier qu'il y a à développer ce produit, ils devraient être capables de rattraper leur retard très rapidement."
SOURCE : JDN