JDN. Plus de dix ans après sa création, que représente Yandex aujourd'hui en Russie ?
Andrey Sebrant. Yandex a été lancé en 2007, mais ses origines remontent à la fin des années 80. La technologie derrière Yandex a initialement été développée en partenariat avec le département de linguistique de l'Académie des sciences russe dans le but de créer un système de recherche pour le gouvernement de l'Union soviétique. Dans les années 90, cette technologie a été adaptée pour soutenir un moteur de recherche sur Internet. Aujourd'hui, Yandex est plus qu'un moteur de recherche. Nous proposons différents services parmi lesquelles des plates-formes gratuites d'hébergement de photos et vidéos, un comparateur de prix, un moteur de recherche dédié aux blogs, un service de paiement en ligne, Yandex.Money, ainsi qu'un outil de cartographie et d'info trafic en temps réel.
Un peu comme Google?
Yandex est un portail Web qui se situe quelque part entre Yahoo et Google. Yahoo est plus un portail média qu'un moteur. En dehors de Youtube, Google est purement un moteur. Nous combinons à la fois l'un et l'autre. Sur la page d'accueil de Yandex, en dehors de l'élément principal qu'est notre moteur, nous proposons par exemple une sélection automatisée des informations essentielles et pratiques du moment, comme les actualités, la météo, des informations sur le trafic routier dans votre ville. Autant d'informations que les internautes aiment connaître, sans pour autant les rechercher. Le rôle d'un moteur est à la fois de répondre à des questions explicites, tapées par l'internaute, et à des questions implicites, pour lesquelles l'internaute éprouve un intérêt naturel, sans les verbaliser pour autant dans notre moteur. En quelque sorte, nous sommes un portail d'informations pratiques basé sur la recherche. En comparaison des standards européens ou américains, cela peut paraître étrange, mais c'est peut être aussi pour cela que nous avons autant de succès en Russie.
Yandex produit-il ses propres contenus ?
Non. Nous restons une entreprise purement technologique. Nous agrégeons le contenu de nos sites partenaires et sélectionnons de manière automatisée les éléments les plus importants et les plus pertinents à mettre en avant par des algorithmes de classement.
C'est encore ce que fait Google avec son service d'actualités ?
A une différence près : Google indexe les sites d'actualité et se contente d'en extraire l'information sans en demander l'autorisation. La stratégie de Yandex repose sur des partenariats passés avec des fournisseurs de contenus. Nous disposons aujourd'hui de plusieurs milliers de partenaires dont nous reprenons les informations et pour lesquels nous nous engageons sur des volumes de trafic que nous apportons à leur site. Nous ne reprenons pas l'intégralité de leurs contenus, mais juste une partie, de quoi générer du trafic chez eux. Cela représente un énorme travail en amont, mais notre position est ainsi la plus claire vis-à-vis des sites médias, ce qui n'est pas le cas de Google. Nos partenaires sont d'ailleurs très heureux de notre collaboration et personne ne cherche à nous faire un procès...
Avec Baidu en Chine, Yandex est l'un des seuls acteurs au monde à devancer Google sur le marché de la recherche. Comment expliquez-vous cela ?
Technologiquement parlant, bâtir et entretenir un moteur de recherches requiert une équipe d'ingénieurs très qualifiés, ce qui coûte généralement cher dans la plupart des pays. En Russie, nous avons la chance de disposer historiquement d'une très bonne filière de formation en mathématiques, mais également en informatique. Cela nous permet de disposer d'un vivier de compétences non négligeable pour développer notre technologie. Yandex emploie près de 2 000 personnes, dont une bonne partie sont des ingénieurs. Aujourd'hui, notre part de marché en Russie sur la recherche est d'environ 65 %, contre 27 % pour Google.
Quelle est aujourd'hui l'audience de Yandex ?
Nous accueillons chaque jour 15 millions de visiteurs uniques sur Yandex. Nos internautes sont assez fidèles. Notre audience mensuelle représente environ 30 millions de visiteurs uniques. A titre de comparaison, la Russie compte 40 millions d'internautes, soit environ 30 % de la population totale du pays (142 millions d'habitants, ndlr.). Nous disposons d'un trafic de près de 11 milliards de pages vues par mois, dont environ 3 milliards représentent des pages de résultats de recherche.
Quel est le modèle économique de Yandex ?
Il est similaire à celui de Google. Nous tirons la plupart de nos revenus de la vente de mots-clés, qui représente 86 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons développé notre propre plate-forme de liens sponsorisés, Yandex Direct, qui diffuse non seulement des liens sur nos sites, mais également sur un réseau de plusieurs dizaines de milliers de sites éditeurs. Yandex Direct gère aussi de la publicité display, mais essentiellement sur notre réseau de sites partenaires. Sur notre site, nous dédions moins d'espace au display afin de pouvoir le vendre plus cher. Sur notre page d'accueil par exemple, nous ne proposons d'un seul emplacement pour une bannière. Il est aujourd'hui l'espace publicitaire le plus cher de l'Internet russe. Et croyez-moi, les annonceurs font la queue !
Pour quel résultats ?
L'an dernier, nos revenus s'élevaient à environ 275 millions de dollars. Comme la plupart des acteurs, nous avons souffert de la crise bien que l'Internet, en Russie comme ailleurs, a beaucoup mieux résisté que les autre médias. En 2008 notre chiffre d'affaires s'élevait à 300 millions de dollars ce qui représentait à l'époque une progression de 80 % sur un an.
Etes-vous présents ailleurs qu'en Russie ?
Nous avons des bureaux dans d'autres pays de l'ex-union soviétique, comme la Biélorussie, le Kazakhstan ou l'Ukraine. Nous disposons d'une forte présence dans ces trois pays, mais l'Internet y est encore peu développé. Ils ne représentent donc qu'une petite part de nos revenus pour l'instant. A terme, ils constitueront de réelles opportunités de croissance. Notamment l'Ukraine, qui représente aujourd'hui entre quatre et cinq millions de visiteurs uniques pour Yandex, mais devrait constituer une part importante de notre activité à plus long terme.
Avez-vous des projets de déploiement en dehors de l'ex-bloc soviétique ?
Nous disposons déjà d'une audience naturelle en dehors de l'ex-union soviétique, notamment dans les pays où résident d'importantes communautés russophones, comme aux Etats-Unis ou en Israël. Nous avons d'ailleurs ouverts des bureaux en Californie, à Burlingame.
Le succès de la version russe de Yandex ne vous incite-t-il pas à lancer une version internationale de votre moteur ?
Nous y pensons effectivement, car contrairement à la plupart des acteurs européens, nous avons les moyens de concurrencer Google. Nous avons récemment lancé une version anglophone de notre moteur qui n'est encore qu'une expérimentation. Le problème est qu'avant de lancer un produit officiel dans d'autres pays, il doit, au minimum, ne pas être pire que ce que Google propose déjà.
C'est-à-dire ?
D'une certaine manière, la recherche internationale n'existe pas. Il existe une recherche russe comme il existe une recherche française, allemande ou chinoise, même si c'est une seule technologie qui rend toutes ces recherches possibles. Nous devons saisir les spécificités, notamment linguistiques d'un pays avant d'y lancer une version locale de notre moteur. Même nos algorithmes de ranking des sites devront être adaptés. Il nous faudra notamment nous installer physiquement dans ces pays pour mieux y indexer les pages locales. Le problème n'est pas vraiment financier puisque nous avons de l'argent. Nous avons également les ressources humaines et l'envie d'aller dans cette direction. Mais cela prendra beaucoup de temps. Nous ne nous sommes pas fixés de calendrier.
Yandex cherche-t-il à devenir un acteur global, comparable à Google ?
Le Web se développe et change tellement vite qu'il nous est impossible de développer des stratégies à très long terme. Il y a encore trois ans, presque personne ne connaissait Facebook ou Twitter. Ces services sont pourtant devenus incontournables aujourd'hui. Est-ce nous voulons devenir un acteur global ? Bien sûr ! Mais qui peut dire que nous y arriverons ?
Né à Moscou en 1954, Andrey Sebrant est directeur marketing de Yandex depuis 2004. Diplômé du Moscow Institute of Physics and Technology Institute (MIPT), il a débuté sa carrière dans la recherche expérimentale sur la physique des plasmas à l'institut d'énergie atomique de Kurchatov. Andrey Sebrant découvre l'Internet en 1989, année de la chute de l'URSS et débute quelques années plus tard (en 1995) une seconde partie de carrière dans l'Internet. Il a travaillé pour de nombreuses entreprises du Web, parmi lesquelles GlasNet, Russia-Online, About.com et Lycos Europe.
Source: JDNet
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