Né en 1953 à Brooklyn, Howard Schultz est l'exemple même du rêve américain. Issu d'une famille pauvre, il fait aujourd'hui partie de ces patrons proches du président Obama, sensibles à la défense de l'environnement et aux questions sociales. Non sans paradoxes d'ailleurs : s'il soutient la réforme du régime de santé, Howard Schultz a été critiqué en 2009 pour entrave à la syndicalisation de son personnel… La réussite de ce fan de sport (qui a possédé l'équipe de basket NBA de Seattle) est intimement liée à celle de Starbucks, qu'il a rejoint en 1982 comme directeur du marketing. Il est en effet à l'origine de la reconversion du distributeur de cafés en grains, créé à Seattle en 1971. En 2000, il « lâche » la direction générale du groupe, mais en garde la présidence. Début 2008, il cumule à nouveau les fonctions afin de relancer Starbucks, dont la croissance alors patine.
Son actualité
Requinqué après avoir traversé une crise de croissance, Starbucks, qui réunit près de 17.000 établissements dans le monde (plus de 11.000 aux Etats-Unis), se prépare à une nouvelle étape de son développement avec le lancement en Europe d'une gamme de cafés instantanés, « Starbucks VIA ». Starbucks prévoit aussi de la distribuer en dehors de ses points de vente, déjà introduit aux Etats-Unis avec succès.
Estimez-vous que la crise a changé les comportements des consommateurs ?
Oui, profondément. Les entreprises qui réussiront à l'avenir seront celles qui auront redéfini leur stratégie pour affronter les problèmes du monde. Ce n'est pas qu'une crise financière. Les consommateurs, dans le monde entier, veulent plus de valeur. Ce n'est pas qu'une question de prix, cela veut dire aussi partager une expérience. Je vais vous donner un exemple : nous avons changé en mars dernier toute notre gamme de cafés expresso au Royaume-Uni dans le cadre de notre démarche de commerce équitable. Nous sommes après coup très surpris car notre part de marché est stable. En dépit de la pression financière, le consommateur dépense plus d'argent aujourd'hui pour les produits du commerce équitable qui coûtent plus cher. Il soutient ce type d'initiative et les marques qui en portent les valeurs parce qu'elle apporte quelque chose de concret aux producteurs de café ou aux cultivateurs. Je constate qu'en 2009 la confiance en la marque Starbucks s'est accrue. Ce n'est pas une question de marketing.
Intégrez-vous ces changements dans votre politique d'approvisionnement de café ?
C'est une question essentielle pour nous. Chaque semaine, 16 millions de consommateurs viennent dans nos établissements et l'explication de leur fidélité, c'est l'expérience vécue avec notre café. Nous sommes aujourd'hui le premier acheteur mondial de café de grande qualité ou de café relevant du commerce équitable. Depuis trente-neuf ans [Starbucks a été créé en 1971, NDLR], nous sélectionnons le meilleur arabica au monde. Seulement 3 % de la production sont assez bons pour nous. Mais nous avons choisi de ne pas être propriétaires, car nous considérons que ce n'est pas notre métier. Ce sujet nous paraît en outre trop dépendre de questions géopolitiques.
Comment vous assurez-vous alors de la qualité du café que vous achetez ?
Nous avons ouvert des bureaux au Costa Rica et au Rwanda dans lesquels travaillent des agronomes pour aider les producteurs, leur apprendre les bonnes pratiques en matière de développement durable afin de conserver une haute qualité du café. Il n'y a pas d'autre entreprise de café au monde qui fasse autant que nous en matière de commerce équitable. J'ai été trois fois au Rwanda au cours des cinq dernières années en raison de nos engagements auprès des fermiers, et j'ai une relation personnelle avec le président Kagamé. Nous avons en outre un important programme d'aide au développement.
En Asie, par exemple, on imagine que vous avez dû diversifier votre offre, en proposant du thé notamment…
L'offre est la même. Certes il y a du thé mais les Chinois boivent du café. C'est incroyable ! Nous avons déjà 800 points de vente au Japon, 700 dans la grande Chine, c'est-à-dire en incluant Hong Kong et Taiwan, et 350 en Chine continentale. Nous pensons que la Chine sera à l'avenir le deuxième marché de la marque.
Et en France, quelles sont vos ambitions ?
Combien de personnes m'ont dit que Starbucks ne marcherait jamais en France. Après cinq années de présence, nous y comptons 53 établissements et notre activité y est désormais profitable. J'en suis très fier. Et quand je regarde ce marché, ses consommateurs sophistiqués en matière de nourriture, de vins, de café, je me dis que nous sommes ici à un stade très, très préliminaire. C'est même l'un des marchés auxquels nous croyons le plus. Cette année, nous allons ouvrir une troisième zone de chalandise, après Paris et Lyon, avec un premier point de vente à Marseille.
Considérez-vous McDonald's comme votre principal concurrent ?
Nous avons le plus grand respect pour McDonald's, mais nous nous considérons comme une « coffee company », eux sont sur le marché du hamburger. C'est au consommateur de faire son choix. McDonald's cherche à venir sur notre marché. J'y vois un bénéfice : une éducation renforcée du consommateur en matière de catégories de café. Cela nous aide aux Etats-Unis, car le consommateur peut tester la différence.
Envisagez-vous comme McDonald's d'élargir votre offre ?
L'une des raisons de notre succès aux Etats-Unis au premier trimestre est l'introduction de « Starbucks VIA », notre nouvelle gamme de cafés instantanés, l'une des innovations les plus importantes de notre offre. Nous avons passé de nombreuses années à créer un café instantané dupliquant le goût du café Starbucks. Et, après des années de travail, nous maîtrisons le process : 90 % des gens qui le goûtent ne font pas la différence. Nous avons rencontré un grand succès aux Etats-Unis et nous allons importer ce produit en Europe. Ce produit sera vendu dans nos points de vente et via des canaux de distribution extérieurs. L'un des leviers de la croissance future de Starbucks sera probablement la commercialisation de son café et de ses produits périphériques en dehors de notre réseau. Aux Etats-Unis nous avons une grosse activité dans les rayons épicerie des supermarchés. Nous allons faire de même en Europe.
N'y a-t-il pas un risque à se lancer sur un nouveau métier très concurrentiel ?
Ce métier est encore plus profitable que le nôtre, même si les investissements sont plus importants en amont. C'est un marché de 20 milliards de dollars sur lequel il n'y a pas eu la moindre d'innovation depuis cinquante ans. Nous avons moins de 10 % du marché américain du café et, en Europe, notre part de marché est de 1 %. Nous avons un grand rôle à jouer.
Source : Les Echos, 8/02/10
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