L'idée est toute bête, encore fallait-il y penser : inciter les conducteurs à être raisonnables au volant en leur faisant payer leur carburant moins cher. Le principe est assez simple : le conducteur qui adopterait une conduite souple et moins énergivore se verrait récompensé en arrivant à la pompe via une ristourne sur le prix de son carburant. L'idée vient de la société de services Logica, qui a développé un système dûment breveté, baptisé EMO, présenté la semaine dernière à Paris. Sa genèse est assez classique et révélatrice du parcours de l'innovation dans bien des entreprises. « Un ingénieur trouvait stupide d'avoir à passer au garage pour faire réviser sa voiture et imaginait qu'il serait possible de le faire à distance en transmettant certains paramètres », se rappelle GBS Bindra, directeur international de l'innovation chez Logica. Jugé intéressant, le concept a été et mis à l'étude. Avec une question principale : comment créer de la valeur ? « L'idée a alors surgi de faire le lien avec le prix de l'énergie, précise GBS Bindra. Pour entrer dans une société moins dépendante des sources d'énergie à base de carbone, il faut créer un nouveau modèle économique. Et le seul qui puisse vraiment marcher, c'est de récompenser économiquement le fait d'être vert. »
Les ingénieurs se sont alors mis au travail et ont développé un prototype. Le composant central et essentiel consiste en un capteur (« on board unit ») qui se connecte sur le boîtier électronique de contrôle du moteur (« engine control unit »). Il enregistre en temps réel les données liées à la conduite et aux émissions de polluants et de gaz à effet de serre. A l'arrivée dans la station-service, au moment de faire le plein, le capteur aura repéré les accélérations excessives ou les freinages brutaux et calculé une moyenne de la performance du conducteur depuis son précédent passage à la pompe. Il communiquera alors par radio les données à la pompe à essence. Cette dernière se connectera immédiatement, via le réseau téléphonique GSM, à un ordinateur central, qui en retour indiquera un prix de carburant calculé en fonction de la performance du conducteur.
Testé à Bangalore
Bertrand-Olivier Ducreux, ingénieur au département transport et mobilité de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et spécialiste de l'écoconduite, est intéressé mais tout de même sceptique sur les performances annoncées : « Je ne suis pas convaincu qu'un seul périphérique puisse apporter autant de résultats que Logica le prétend. Quand nous faisons ce type de mesures, le coffre de la voiture est plein d'appareillages. » Un tel système, aujourd'hui testé dans les rues de Bangalore avec une dizaine de véhicules, est-il envisageable à grande échelle, notamment en France, où l'on a bien du mal à promouvoir l'écoconduite ? « Si cela concerne les compagnies pétrolières, voire les compagnies d'assurances, cela peut d'abord intéresser les gouvernements. Rappelons que, dans la plupart des pays, le prix du carburant est composé à 70 % de taxes », insiste GBS Bindra.
De fait, l'idée interpelle les spécialistes. « On pourrait imaginer un constructeur automobile qui, avec l'achat d'une voiture ainsi équipée, vous donnerait des cours d'écoconduite. On pourrait aussi imaginer que cela intéresse certains pétroliers qui, grâce à une baisse de la consommation de carburant, gagneraient des certificats d'émission », explique Alain Besançon, chargé de mission transport et mobilité pour l'Ademe en Aquitaine.
Bertrand-Olivier Ducreux est plus dubitatif : « Les promoteurs du système promettent de 15 à 18 % de baisse de consommation. Cela me laisse perplexe, puisqu'il est démontré qu'en pratiquant l'écoconduite vous gagnez déjà de 10 % à 15 % de carburant. Avant l'instrumentation, il est à notre sens plus judicieux de mettre l'accent sur la formation pour bien montrer que non seulement l'écoconduite n'engendre pas de perte de temps, mais qu'il s'agit d'une nouvelle compétence et d'une meilleure utilisation du véhicule. » Autre souci, le prix. Logica estime le coût d'un tel capteur à environ 60 euros. « Le prix baisserait très rapidement dès lors qu'il serait fabriqué en série et en volume », assure GBS Bindra.
La technologie semble pourtant porteuse de promesses, reconnaît Bertrand-Olivier Ducreux : « Le suivi de la consommation et de l'émission de polluants grâce à l'instrumentation est dans l'air du temps. Les systèmes en développement aujourd'hui permettent d'envisager de l'aide au conducteur en fournissant des informations en temps réel. On peut aussi envisager de comparer les performances avec d'autres automobilistes. »
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