lundi 13 septembre 2010

L'influence du Berkeley Lab sur la politique énergétique Américaine

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/64406.htm

C'est une longue tradition d'excellence qui caractérise l'histoire du Lawrence Berkeley National Laboratory. Fondé par Ernesto Orlando Lawrence comme laboratoire d'étude de son cyclotron qui lui rapporta le prix Nobel de physique en 1939, ce fut pendant plusieurs années un acteur important du développement de l'étude du nucléaire aux Etats-Unis. Tout en maintenant des activités de recherche en physique de niveau mondial le laboratoire s'est peu à peu diversifié et compte des départements d'astrophysique, de sciences de la vie, d'informatique, de sciences des matériaux, de mathématiques et de sciences de l'environnement. Depuis sa création, onze de ses chercheurs ont reçu un prix Nobel, dont Steven Chu qui en fut le directeur jusqu'à ce que récemment il prenne la direction du DoE.

Enfin, si l'on considère les conditions de travail qui sont fournies par le LBNL, on ne peut qu'être subjugué par la situation exceptionnelle du laboratoire, qui a pris possession des collines de Berkeley, entre le campus de la prestigieuse University of California, Berkeley, et le non moins prestigieux Mathematical Sciences Research Institute (MSRI) perché au sommet [1,2].

Du haut de sa colline, avec ses 4000 employés - chercheurs, ingénieurs, étudiants - travaillant sur des sujets de recherche non classifiés le Lawrence Berkeley est aujourd'hui engagé dans une course contre le changement climatique. Son rayonnement dépasse le cadre purement scientifique et il étend son influence jusqu'à Washington.

Un laboratoire à la pointe des technologies propres

Sous le patronage de Paul Alivisatos, directeur actuel et expert mondial en nanotechnologies, le "Berkeley Lab" a lancé l'initiative "Carbon Cycle 2.0" pour proposer des solutions originales pour réduire les émissions de carbone à travers l'ensemble de ses programmes de recherche.

Le stockage du CO2

Beaucoup de progrès sont faits dans le développement de sources d'énergies alternatives au pétrole, au charbon et au gaz, mais les technologies nécessaires peuvent encore prendre des années avant de pouvoir contribuer significativement au "mix énergétique". Et nos ressources en gaz naturel et charbon sont immenses. Par ailleurs la hausse des prix du pétrole peut contribuer à rendre économiquement viable l'utilisation du charbon dans de nouveaux carburants. Et le récent développement de nouvelles centrales à charbon ne va pas arranger les choses. Il faut donc développer des moyens de capter et stocker le CO2 émis lors de la combustion du charbon, et c'est sur ce sujet que le Berkeley Lab travaille, fort de son expérience de recherche en combustion, géologie et biologie. Des nanoparticules sont notamment utilisées pour capter le CO2 et pouvoir ainsi le libérer pour mieux le séquestrer ultérieurement.

Les bio-carburants

Le Berkeley Lab ne s'est pas impliqué dans les travaux sur de nouveaux carburants à base d'hydrogène, et l'éthanol n'est pas une voie qu'il privilégie. Le focus est d'avantage sur les combustibles dérivés de plantes terrestres, d'algues et de cellules photo-éléctrochimiques (PECs) qui sont des réacteurs capables de produire des précurseurs pour des combustibles. C'est sur ces sujets que travaille les équipes du Joint BioEnergy Institute (JBEI), un partenariat entre le Berkeley Lab, le Lawrence Livermore National Laboratory, et le Sandia National Laboratories, qui sont deux autres laboratoires du département de l'énergie Américain, ainsi que plusieurs universités. La priorité est donc donnée au développement de biofuels qui se comportent comme les combustibles tels que l'essence et le diesel dont l'usage est parfaitement intégré dans nos sociétés, plutôt que l'éthanol dont l'intégration pose un certain nombre de problèmes. Ainsi pour atteindre une production industrielle de biofuels, il faut résoudre le problème d'accéder à suffisamment de matière première: les arbres. Par modification génétique on est ainsi capable de sélectionner des souches qui poussent plus rapidement. Le processus pour transformer la cellulose de bois en biofuels implique aussi une bonne dose d'ingénierie génétique. Toute cette recherche portera ses fruits dans des dizaines d'années.

Le solaire

Plusieurs directions de recherches sont poursuivies au Berkeley Lab dans ce domaine, mais ce sont les nanotechnologies qui sont à la base de tous ces travaux. Le directeur du Laboratoire, Paul Alivisatos, est lui-même à la tête d'un laboratoire sur le campus de Berkeley dont les recherches engagées sur ce sujet depuis un certain nombre d'années sont en train de porter leurs fruits: Lorsqu'on est à une échelle aussi petite, on peut améliorer les performances des cellules en minimisant les impuretés et en optimisant les propriétés photovoltaiques des matériaux utilisés. Par ailleurs les recherches au Berkeley Lab se focalisent sur l'utilisation de matériaux abondants, les processus de fabrication peu demandeurs en énergie, et l'exploitation de géométrie originale au niveau moléculaire (ex: nanofils) pour accroître l'efficacité des cellules.

Solaire + Biofuels = photosynthèse

L'objectif du projet Helios du Berkeley Lab est de reproduire de manière artificielle le procédé naturel de la photosynthèse, et d'utiliser ce procédé pour produire de l'énergie. L'idée de base est de prendre de la lumière, de l'eau et du CO2, de simuler le processus qu'utilisent les plantes pour récupérer l'énergie du soleil et de récolter un combustible transportable. Le département de l'énergie Américain vient de débloquer $122 millions sur 5 ans pour faire avancer ce projet [3]. Le budget sera réparti sur une équipe comprenant plusieurs laboratoires de recherche, dont le Berkeley Lab.

Les batteries

C'est enfin depuis Berkeley Lab qu'est géré le programme Américain le plus ambitieux dans le domaine des batteries du futur: le programme BATT (Batteries for Advanced Transportation Technologies) [4]. Sous la houlette du Dr Srinivasan, des équipes reparties sur l'ensemble du territoire US travaillent chacune sur une partie de la technologie lithium-ion: que ce soit l'anode, la cathode, l'électrolyte, le séparateur, la modélisation par ordinateur des réactions et cycles de charge/décharge, etc... Les défis à relever sont nombreux sur les batteries: améliorer la densité énergétique, la sécurité et la longévité. Là encore ce sont les nanotechnologies qui offrent les plus grandes promesses. Par ailleurs ce programme a donné naissance à un grand nombre de startups qui développent des solutions pour les véhicules électriques et les infrastructures de stockage énergétique qui permettront de lisser la production énergétique renouvelable par nature intermittente.

Un impact économique au-delà de San Francisco

Une étude récente commissionnée par le Berkerley Lab [5] a permis de mettre en valeur l'impact que le laboratoire a sur sa région, l'état et le pays tout entier: Sur l'année 2009 le Berkeley Lab a généré 5600 emplois et $446 millions de revenu personnels, et a contribué à hauteur de $690 millions pour l'économie de la région de San Francisco, en pleine récession. Le nombre d'emplois créés au niveau national est de 12000.

Les transferts de technologie depuis le lab ont été aussi très impressionnants: depuis 1990, environ 30 startups dans divers secteurs industriels ont été formées sur la base de technologies initialement développées au LBNL. L'étude détermine que sur 20 ans, ce sont près de 4000 emplois locaux qui ont été créés par ces startups. Leur contribution à l'économie régionale s'élèvent à plus de $900 millions, pour passer à $1.6 milliards au niveau de l'état. Le marché généré par l'activité de ces startups s'élèverait à $2.8 milliards.

En pleine récession économique, le LBNL a donc continué à créer des emplois au niveau national.

Une influence qui s'étend jusqu'à Washington

La nouvelle administration américaine a fait preuve de beaucoup de dynamisme depuis son arrivée dans sa politique énergétique. Il n'est plus nécessaire de lister les exemples mais parmi eux on peut compter le American Recovery and Reinvestment Act (ARRA) plus connu sous le nom de Stimulus Package (787 milliards de dollars dont un tiers pour des contrats, bourses et prets) dont une grande partie est réservée au secteur du "clean-tech" [6,7].

Les $37 milliards récupérés dans le stimulus par le Department of Energy (DoE) peuvent être ainsi décomposés [8]:
- $16.7 milliards pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique
- $6 milliards pour la prise en charge des déchets nucléaires
- $4.5 milliards pour la modernisation du réseau électrique américain
- $3.4 milliards pour la séquestration du carbone
- $2 milliards pour l'innovation scientifique dans les technologies de l'énergie

C'est d'ailleurs à partir de ces $2 milliards que l'agence Advanced Reseach Project Agency - Energy (ARPA-E) a été financée [9]. Cette agence créée par le DoE en 2007 n'avait pas été initialement dotée d'un budget par l'administration et a pu ainsi bénéficier de 400 millions de dollars. Elle doit son nom au Defense Advanced Reseach Project Agency/DARPA à l'origine d'Arpanet, le réseau précurseur d'internet. On peut ainsi comprendre les ambitions affichées par Washington dans la création de cette agence.

Récemment ARPA-E a permis le financement d'un certain nombre de projets. Cette dynamique récente est l'illustration du lien fort qui existe entre Washington et le Lawrence Berkeley National laboratory (LBNL) car elle est le fruit de l'action de deux personnes :
- Steven Chu, ancien directeur du LBNL et actuel secrétaire géneral à l'énergie et directeur du DoE [10];
- Arun Majumdar, ancien directeur de la division Environmental Energy Technologies du LBNL et nouveau directeur de ARPA-E.

Ce sont donc deux personnes clefs du LBNL qui se retrouvent aux commandes de l'appareil à financer la recherche dans les technologies propres. On imagine qu'ils exercent ainsi une diplomatie d'influence sur la politique énergétique américaine et se font les lobbyistes pour le financement de la recherche pour combattre le changement climatique.

Il existe encore plusieurs exemples de chercheurs de Berkeley pouvant influencer les choix faits à Washington en faveur de certaines technologies. On s'attachera au cas de l'énergie solaire. Nous avions déjà consacrée une brève au cas de Cyrus Wadia, personnage atypique à cheval entre recherche à LBNL et transfert de technologies vers les start-ups, en charge pendant un temps de la direction de l'Energy Institute à la Haas School of Business de UC Berkeley [11]. Spécialiste de l'énergie solaire, il est en charge à l'OSTP [12] de renforcer l'initiative présidentielle de rendre celle-ci plus abordable et donc plus propice à se propager dans les pays où à l'heure actuelle elle reste totalement inabordable.

On notera comme dernier exemple celui de Daniel Kammen, directeur du laboratoire de recherche pour les énergies renouvelables et appropriées (RAEL) [RAEL] sur le campus de Berkeley, récemment nommé ambassadeur pour l'énergie propre auprès de l'hemisphère Ouest. Ses tâches seront d'encourager les initiatives and fournir une expertise technique et régulatoire dans les domaines des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique, des énergies fossiles propres, et de l'infrastructure énergétique.

Commentaire

Au moment ou le gouvernement américain communique sur l'impact du Stimulus Package sur l'économie du pays, il est intéressant de voir l'impact socio-économique fort du seul Berkeley Lab sur l'ensemble du territoire Américain. On peut voir aussi son influence politique grandissante mise en avant par les actions du Département de l'Energie et de son bras d'investissement ARPA-E. Au delà, on ne peut que se réjouir de l'impact à long terme des recherches menées actuellement par le Berkeley Lab pour lutter efficacement contre le changement climatique


ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 218 (10/09/2010) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/64406.htm

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