Avec le jeu vidéo Moonshield, le groupe Thales soigne sa communication. Dès 2010, 5 000 nouveaux ingénieurs seront recrutés chaque année, ce qui amène l'entreprise à accroître sa visibilité à travers le monde. "Il fallait réussir à capter l'attention des élèves ingénieurs pour leur présenter les pôles d'activité du groupe, méconnus en dehors de la France", explique Yves Dambach, directeur général de KTM Advance, l'entreprise qui a conçu le jeu. Huit mois après sa mise en ligne, les compteurs de Moonshield affichent près de 200 000 parties jouées. Et dans un cas sur quatre, le joueur s'est rendu sur le site dédié au recrutement de Thales. Pour Yves Barou, directeur des ressources humaines du groupe, le pari est réussi : "Un jeu comme celui-ci contribue à l'image de l'entreprise et accroît sa notoriété."
LA MOITIÉ DES ENTREPRISES DU CAC 40 UTILISENT DES "SERIOUS GAMES"
En France, les serious games ont émergé entre 2003 et 2005, comme outils de formation personnalisée ou instruments de communication. "Le jeu vidéo est resté pendant longtemps quelque chose de mal vu en France. Trop violent et réservé aux jeunes garçons", rappelle Sébastien Beck, directeur exécutif de Dæsign. Aux yeux du monde professionnel, le jeu devient peu à peu un outil efficace au service de l'entreprise.
L'arrivée sur le marché du travail de la génération "digital native", qui a grandi en même temps que les nouvelles technologies, mais aussi le succès de la Wii et des jeux ludo-éducatif familiaux, ont contribué à modifier la manière de percevoir les jeux vidéo. Doucement, ils gagnent en respectabilité. Selon une étude européenne (Apply Group, 2007), 66 % des grands donneurs d’ordre européens disent vouloir les intégrer dans leur formation dans les cinq ans à venir. Près de la moitié des entreprises du CAC 40 ont déjà franchi le pas. BNP Paribas, L'Oréal, PSA, ou Air France utilisent ainsi les serious games dans leurs plans de formation ou de communication. "Il y a encore deux ans, les entreprises ne voulaient pas en entendre parler et maintenant, elle écoutent", explique Olivier Lombart, responsable du développement des serious games au sein de l'entreprise Genious.
"MOINS RÉBARBATIF QU'UN MANUEL DE 400 PAGES"
Depuis le début de l'année, AXA teste un nouveau programme de formation interne à la vente dans lequel les salariés "jouent" sur leurs ordinateurs. Plongés dans un environnement en 3D, il leur faut convaincre des clients virtuels. A chaque fois, il doivent faire face à une nouvelle difficulté et adapter leur discours. Selon José Milano, directeur du développement des ressources humaines pour AXA France, le jeu désinhibe, les salariés expérimentant des techniques de vente qu'ils n'auraient pas osé essayer face à un vrai client. "C'est une expérience très satisfaisante", juge-t-il, en annonçant fièrement la vente de 17 000 contrats supplémentaires dans la région pilote.
"C'est moins rébarbatif que de lire un manuel de 400 pages", lance Yves Dambach. Pour lui, les serious games offrent une méthode de formation moins scolaire. Il permettent de se mettre à la place de l'autre et de se remettre en question. Surtout, l'efficacité de la formation est contrôlée. "On ne peut atteindre les niveaux supérieurs et terminer le jeu qu'en validant ses connaissances", explique-t-il.
Cependant, les serious games restent chers. Moonshield, le jeu développé pour Thales, atteint les 400 000 euros. AXA se fait moins précis, mais José Milano reconnaît qu'un serious game représente un investissement substantiel. "Entre 50 000 à 500 000 euros suivant la complexité du jeu", détaille Yves Dambach. Le prix est une barrière pour la plupart des PME, mais des entreprises s'attaquent à ce marché. "Certaines simulations, comme les entretiens annuels d'évaluation ou les formations au management, peuvent être standardisées pour s'adapter, avec de légères modifications, à toutes les structures", explique Sébastien Beck. Son entreprise, Dæsign, propose des licences à 250 euros, mais le produit n'a pas encore le succès escompté. "Le serious game n'a pas encore acquis la notoriété suffisante", suppose-t-il.
CRÉER UNE BANQUE SUR UNE STATION ORBITALE
Les moteurs 3D, comme les outils de création de jeux vidéo, ont fait d'importants progrès ces dernières années : la jouabilité est améliorée ; les scénarios, de plus en plus élaborés, immergent totalement le joueur dans un univers virtuel. "Entre certains jeux vidéo et certains serious games, la frontière est très mince", constate Olivier Lombart. Pour présenter les activités du groupe à ses nouveaux collaborateurs, BNP Paribas les emmène en mission orbitale, avec Starbank. "Vous venez de rejoindre le bureau des missions spéciales, précisons vos objectifs : vous partez créer une banque dans une citée orbitale peuplée d'étranges aliens", explique une voix de robot. Le jeu permet de comprendre le fonctionnement des différents pôles de l'entreprise et leurs interactions, créant une image mentale. A l’origine, Starbank était destiné aux nouveaux employés, issus des 85 pays où le groupe est implanté. Le jeu a finalement été mis en ligne sur le Web. L'outil de formation participe alors à la stratégie de communication de l'entreprise.
La capacité des jeux à diffuser un message n'a pas manqué d'attirer l'attention des annonceurs. Ikea propose de remeubler le bureau Ovale. La marque de déodorants masculins Axe entraîne les joueurs dans une enquête sur l'origine de mystérieuses agressions d’hommes par des femmes. Les advertgames, jeux publicitaires, sont légion sur Internet. L'entreprise Genious travaille actuellement sur un jeu pour une grande marque de cosmétiques : un couple de tamagotchis (animaux de compagnie virtuels) qui se nourrissent uniquement par la peau. Il faut les soigner à l'aide de différentes crèmes en fonction des pathologies qu'ils développent. "C'est beaucoup plus facile pour présenter le catalogue. On amène les joueurs à se familiariser avec les produits", explique Olivier Lombart.
PLAN DE SOUTIEN GOUVERNEMENTAL
L'émergence du marché des "jeux sérieux" est encore récente. Difficile de trouver des chiffres fiables. Une étude américaine donne une fourchette trop large pour être véritablement significative : entre 1,5 et 10,5 milliards de dollars. Les données françaises ne sont pas plus précises : "quelques dizaines de millions d'euros", avançait prudemment Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique, en annonçant un plan de soutien en mai. Un appel d'offres qui a reçu plus de 150 dossiers de candidature.
Depuis quelques mois, des initiatives locales prennent le relais du gouvernement. La chambre de commerce et d'industrie du Nord-Pas-de-Calais a récemment lancé un appel à projets, tandis que la fédération des travaux publics de Rhône-Alpes se dotait d'un jeu destiné à sensibiliser sur les risques sur les chantiers. Une politique qui soulage Julien Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo :"Les pouvoirs publics prennent enfin conscience du potentiel économique des serious games."
Source : Le Monde, Mael Inizan, 27 juillet 2009
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