Pourra-t-on bientôt s'épargner le voyage aux tropiques pour admirer des atolls ? Quelques Danois y croient sérieusement et réfléchissent à la construction de gigantesques retenues d'eau en mer, à la façon des îles coralliennes. Les ingénieurs nordiques espèrent y stocker l'énergie intermittente de leurs grands parcs éoliens marins. L'idée n'est pas nouvelle : les barrages hydroélectriques exercent depuis des décennies cette fonction. Quand leurs turbines ne produisent pas d'électricité, la nuit, lorsque la demande est faible par exemple, le barrage pompe de l'eau en aval pour la stocker dans sa retenue et augmenter l'énergie potentielle du dispositif.
Le centre scientifique Riso-DTU, associé à l'opérateur énergétique Kema et à un cabinet d'architectes, propose dans un projet de recherche européen d'appliquer cette technique en mer, dans d'immenses atolls artificiels imperméables. Des pompes alimentées en électricité rempliraient ces réservoirs de quelques dizaines de mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer lorsque l'énergie est disponible. En cas de besoin, il suffit de renverser le procédé en turbinant vers la mer l'eau stockée pour produire de l'électricité. Parmi les différentes techniques permettant de stocker de forts volumes d'énergie, les barrages ont fait depuis longtemps la preuve de leur efficacité.
Avec eux, le rendement d'un cycle complet de stockage-déstockage approche des 80 %, chaque passage dans la pompe ou la turbine ne prélevant que 10 %. A titre de comparaison, le stockage d'air comprimé dans des bouteilles ou des cavités souterraines, par exemple, génère de la chaleur, qui dégrade le rendement sous la barre des 50 %. Les dispositifs électrochimiques, tels que les batteries et les volants d'inertie culminent à 70 % d'efficacité au mieux et restent limités en capacité.
Lisser les fluctuations
Or le stockage d'énergie reste la condition du développement massif des énergies renouvelables. Champion du monde de la catégorie, le Danemark produit déjà 20 % de son électricité à partir de son gigantesque parc éolien et prévoit pour 2020 d'atteindre 30 %. Mais les ressources en vent ont pour défaut d'être intermittentes et difficile à prévoir. Pour lisser les fluctuations de production et de consommation, le réseau électrique sollicite des centrales thermiques ou des incinérateurs de déchets qui produisent du CO. Le Danemark gagnerait plus que tout autre pays à stocker l'excédent d'énergie des coups de vent nocturnes. Sa situation géographique favorise tout autant les atolls que les fermes éoliennes offshore, grâce à son vaste domaine maritime à faible profondeur. Ils cohabiteraient bien avec les éoliennes, dont ils assureraient un lissage de la production.
La faisabilité technique semble déjà acquise aux spécialistes. A la demande de l'Académie française des technologies et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), François Lempérière a réalisé une étude sur le sujet. Ce grand spécialiste français des barrages imagine des atolls délimités par de hautes digues de 70 mètres de haut, 50 mètres au-dessus du niveau de la mer. Des ouvrages bien plus monumentaux dans le monde montrent qu'une telle ingénierie est maîtrisée. La construction ferait appel aux assemblages sur barges utilisés pour la réalisation de ports. Quant à la tenue au sel et aux éléments marins qu'évitent les barrages montagnards, François Lempérière estime que la résistance des matériaux est prouvée à l'usine de la Rance. Cette centrale marémotrice située en Bretagne est la référence mondiale dans l'exploitation de l'énergie des marées. Son fonctionnement depuis 1967 prouve que les ciments et les turbines supportent la corrosion. Les ouvrages seraient protégés par des brise-lames, là encore une technique maîtrisée selon lui. Le convoyage de l'électricité se ferait classiquement par liaisons sous-marines.
Pour Michel Paillard, experts des énergies marines à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), le concept est très intéressant et ne présente aucun verrou technologique. En particulier dans les zones maritimes qui connaissent de faibles marées. Pour lui, la question est uniquement économique et écologique.
Moins de réticences
Le coût de tels ouvrages se calcule au kilowattheure stocké et décroît donc avec la taille. Pour un atoll de 23 kilomètres carrés, un stockage de 160 gigawattheures et une turbine de 5 gigawatts de puissance, François Lempérière évalue l'investissement à 6 milliards d'euros, l'équivalent d'une centrale nucléaire. De quoi compenser une grosse journée d'inactivité pour un cinquième du parc éolien français prévu en 2020. La situation française a pour particularité de n'offrir que des fonds suffisamment plats et superficiels sur le littoral de la Manche. Comme cette zone est très éloignée des lieux de production électrique (vallée du Rhône, Alpes), les atolls réduiraient le déploiement de lignes haute tension.
Quant au chapitre de l'acceptabilité sociale et environnementale, il est le plus délicat de l'avis de tous. L'implantation d'installations offshore génère moins de réticences que l'éolien terrestre, mais Michel Paillard rappelle que les chantiers auront de fortes emprises sur la côte. Ces barrages risquent aussi d'entrer en concurrence avec les autres usagers de la mer (pêche, plaisance, etc.). Reste enfin à convaincre les défenseurs de l'environnement que ces projets respecteront le milieu marin…
Source : Les Echos, 24/09/09
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