A l'heure où Google accélère son projet pharaonique et controversé de numérisation de la production littéraire mondiale, une nouvelle génération d'éditeurs investissent le champ des ebooks, ou livres numériques. "Jusque-là, on cherchait essentiellement à numériser ce qui existait déjà. On entre aujourd'hui dans une nouvelle phase : une production dédié au numérique", explique Clément Monjou, rédacteur en chef du site Internet eBouquin.fr.
25 MILLIONS DE TÉLÉCHARGEMENTS
En juin dernier, Leezam lançait son premier titre : La Toile, de Florian Laffani, un thriller uniquement disponible en version numérique. La petite maison d'édition française abandonne les étagères des librairies et les circuits de distribution traditionnels. Plus de livres imprimés, mais des fichiers que l'on télécharge pour lire sur un téléphone, un lecteur ebook ou derrière un écran d'ordinateur. Leezam veut rattacher le livre au train du numérique. "Un nouveau support appelle de nouveaux usages", explique Gautier Renault, cofondateur de la maison d'édition. Avec près d'un million d'iPhones en circulation en France, elle réalise la plupart de ses ventes sur la plateforme de téléchargement d'Apple, l'Apple Store. Un modèle de diffusion adopté, au moins en partie, par la plupart de ses nouvelles maisons d'édition numériques. Elles parient sur l'essor des smartphones, ces téléphones multifonctions, pour toucher un lectorat urbain, amateur de technologie et qui passe plusieurs heures par semaine dans les transports en commun.
Cette révolution littéraire est déjà digérée au Japon, royaume de la technologie. "Difficile de trouver dans l'Archipel une Japonaise de 15-24 ans qui n'ait pas lu "Koizora", ni vu le film ou la série TV du même nom", écrivait Karyn Poupée, correspondante du Monde à Tokyo, il y a tout juste un an. En effet, ce roman numérique avait déjà été lu par 25 millions de Japonais avant que des éditeurs se décident à en imprimer une version papier. Mika, une jeune auteure inconnue, l'avait simplement déposé sur un site de téléchargement d'ebooks. Il doit son succès à une diffusion virale des adolescents japonais via téléphone portable. Cet exemple n'est cependant pas isolé. Clearness, Deep Love ou Change the Game, les best-sellers numériques se multiplient au Japon. Ecrits pour être lus sur de petits écrans, ils portent le nom de keitai shosetsu, littéralement des "nouvelles ou romans sur portable" et sont devenus un véritable phénomène de société.
"RÉINVENTER LA LECTURE À L'HEURE DU NUMÉRIQUE"
"En Occident, le monde du livre a abandonné le public des adolescents et des jeunes adultes", regrette Laurent Rabatel, même s'il reconnaît qu'il devient difficile de faire face aux jeux vidéo et au cinéma. Pourtant, l'éditeur croit encore dans une littérature plus "punchy" qui colle aux habitudes de consommation de ses lecteurs : un public volatile, bombardé d'offres culturelles et baigné dans la technologie. "On a pas le temps de mettre la table, il faut rentrer dans le livre dès les deux premières lignes", explique-t-il, alors qu'il présente l'un de ses plus gros succès, J'irai me crosser sur vos tombes, d'Edouard H. Bond. Téléchargé à près de 800 exemplaires, ce roman numérique sur l'industrie pornographique au Canada est encore loin des chiffres records des best-sellers japonais. Pourtant, l'adhésion de quelques centaines de lecteurs seulement suffit, pour Laurent Rabatel, à prouver le potentiel commercial de la formule.
Les lecteurs téléchargent leurs romans épisode par épisode pour quatre dollars canadiens. Ils suivent le rythme d'écriture de l'auteur. On renoue avec les feuilletons du XIXe siècle, adaptés à l'ère du numérique. Un modèle également choisit par Leezam, avec La Toile. Neuf épisodes courts, d'une vingtaine de minutes de lecture, dont la construction s'inspire directement des séries de télévision américaines : récurrence des lieux et des personnages, deux histoires qui se développent parallèlement et s'entrecroisent pour finalement se rejoindre. "Il y a peu de descriptions, parfois un seul mot en exergue, on se concentre sur le rythme et les rebondissements", explique Florian Laffani, l'auteur de La Toile.
LE LIVRE ENTRE DANS L'ÈRE DU WEB 2.0
"On a tous la même image du livre en tête : 200-300 pages avec un début, un milieu et une fin, cependant le numérique offre d'autres possibilités", insiste Gautier Renault. L'éditeur veut garder le principe de série, un moyen facile de fidéliser le lecteur. Il réfléchit cependant à en enrichir le contenu, en proposant par exemple une bande son originale, comme dans les films. Une étape déjà franchie par Enhanced Editions."En plusieurs centaines d'années, peu de choses ont changé dans notre manière de lire un livre. Jusqu'à maintenant !", prévient sur une vidéo, la start-up anglaise. Elle propose une interface qui se veut "l'évolution naturelle du livre". Présentée sur un iPhone, elle permet au lecteur de basculer librement du texte à une lecture audio ou à un player vidéo. Le livre est mis en scène pour devenir un véritable produit multimédia.
Du côté des grands éditeurs, c'est "la politique du sous-marin", observe Clément Monjou, rédacteur en chef du site Internet eBouquin.fr. La plupart d'entre-eux ont développé des pôles technologiques, mais le marché est encore trop restreint pour qu'ils décident de réaliser de véritables investissements. Les éditions numériques accompagnent de plus en plus souvent les versions papier, mais il ne s'agit, la plupart du temps, que d'une transposition pure et simple de textes écrits pour le papier. Pourtant, pour Marin Dacos, directeur du centre pour l'édition électronique ouverte (CLEO), il faut penser aujourd'hui le livre numérique comme une application à part entière. Le chercheur du CNRS anticipe son entrée dans l'ère du Web 2.0. Avec la géolocalisation pour recentrer l'information sur le lieu où le lecteur se trouve, avec un enrichissement contextuel ou encore de la traduction à la volée... L'ebook a le pouvoir de rompre la linéarité du livre. "C'est un peu comme les livres dont vous êtes le héros, on peut créer une interaction avec le lecteur et le rendre actif dans sa lecture", anticipe le chercheur.
Source : Le Monde, 25/09/09
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vendredi 25 septembre 2009
Le livre fait sa révolution numérique
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