La semaine dernière s'est tenue, dans la région de San Francisco, la deuxième édition du Silicon Valley Energy Storage Symposium [1], un événement dédié aux moyens de stockage stationnaires.
Le stockage énergétique stationnaire désigne communément l'ensemble des moyens permettant de stocker à un endroit donné de l'énergie, sous quelque forme que ce soit, pour la récupérer ensuite sous forme d'électricité. Il se différencie du stockage énergétique embarqué, destiné à faire avancer nos futures voitures -électriques-, qui est quasi-exclusivement un stockage électrochimique (batteries).
Comme le système électrique représente un marché particulier où l'offre et la demande doivent être égales à chaque instant, les intérêts du stockage stationnaire sont multiples. En effet, l'introduction de "réservoirs d'électricité" permet une plus grande flexibilité dans la gestion de ce système, car ils peuvent endosser des fonctions traditionnellement assumées par les outils de production (centrales) ou de transmission (réseau) mais également fournir de nouveaux services.
Quelques exemples :
- Contribuer à la qualité commerciale (réduction du temps de coupure) ou purement technique (régulation de la fréquence et de la tension) de l'électricité fournie.
- Restituer de l'énergie emmagasinée aux heures de fortes consommation à l'endroit où l'on a besoin d'électricité. Le double bénéfice est alors de réduire l'appel à la production chère et polluante généralement utilisée à ces moments et de décongestionner les câbles très sollicités.
- Assurer une solution au problème d'intermittence de certaines énergies renouvelables comme l'éolien, le solaire ou pourquoi pas l'énergie marémotrice. En France, la commission de régulation de l'électricité a d'ailleurs lancé à cet effet un appel d'offre pour la construction de fermes éoliennes avec stockage dans les îles [2].
Ce secteur est soumis aujourd'hui à de nombreuses incertitudes, tant en ce qui concerne l'évaluation du marché potentiel que dans la détermination de la ou les technologies qui auront le plus de succès. Le modèle économique convenant à cette solution hybride reste en effet à inventer et des questions subsistent sur la fiabilité à long terme des moyens de stockage.
Dans ce contexte, le gouvernement de Californie a demandé à la California Public Utilities Commission (CPUC) d'engager une réflexion sur le pourcentage de stockage stationnaire nécessaire dans un système électrique de taille donnée [3]. Beaucoup d'acteurs testent en ce moment divers moyens de stockage en Californie, que ce soit des producteurs d'électricité, comme par exemple PG&E qui teste un système de batteries sodium-souffre [4], des acteurs académiques ou encore des entreprises de systèmes d'énergie renouvelable (comme SunPower).
La position de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC)
Philip Moeller, responsable du sujet du stockage à la FERC, a tenu un discours mitigé sur ce "secteur compliqué, qui va beaucoup évoluer dans les prochaines années". Il a d'une part souligné que toutes les entités avaient maintenant pris conscience que le stockage stationnaire est un outil susceptible d'être utilisé par les gestionnaires de réseau et autres acteurs et qu'il fallait définir un environnement régulatoire cohérent avec ses singularités. En ce sens, une avancée de la FERC est d'autoriser les projets à être catégorisés comme "moyens de production" ou comme "moyens de transmission".
D'autre part, les acteurs potentiellement intéressés par le stockage sont divers :
- le gouvernement fédéral, responsable de la planification des réseaux de transmissions d'électricité inter-régionaux,
- les gouvernements locaux, responsables du bon approvisionnement en électricité de leurs Etats,
- les producteurs et distributeurs d'électricité.
Depuis mai 2009, le Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL) travaille sur une étude de la fréquence des réseaux électriques dont les conclusions devraient être publiées très prochainement. D'après Philip Moeller, il y a fort à parier que l'intégration des fermes éoliennes a plus d'impacts sur le réseau que ce qui était envisagé et, mis à part dans le sud-est du pays, cela posera des problèmes. C'est pourquoi il est optimiste pour le développement du secteur: les entreprises produisant des moyens de stockage devraient chercher à se positionner sur des marchés de niche afin d'être rémunérées pour la qualité de leur service.
Cependant, le contexte énergétique a évolué depuis l'été 2008 et de nombreux éléments ne jouent pas en la faveur des énergies renouvelables, et à fortiori du stockage énergétique. En premier bien sûr la crise, qui a ralenti l'économie mondiale a fait chuter les prix des marchés de gros de l'énergie, en particulier ceux du gaz et de l'électricité. Par ailleurs, la découverte de gisement de gaz de schistes importants aux Etats-Unis redessine les perspectives du pays : le prix modéré du gaz se prolongera sans doute à assez long terme. Enfin, le marché carbone qui était prévu n'est pas mis en place pour l'instant, il n'existe pas d'objectif national d'insertion des énergies renouvelables et il est peu probable qu'une loi sur l'énergie soit adoptée.
Malgré ces revers, pour Philip Moeller la question n'est pas de savoir SI le stockage va émerger, mais QUAND. Les membres de la FERC veillent et surveillent ce qui se passe sur le terrain, ils observent les marchés et les solutions développés localement. Le pays tout entier sera par exemple très intéressé par les conclusions de la CPUC.
La technologie des batteries à flux continu (flow batteries) à l'honneur
Il est intéressant de noter que les trois projets de démonstration de stockage présentés lors du symposium faisaient tous usage d'une technologie de stockage particulière: les batteries à flux continu. Un intervenant de la compagnie EnerVault a d'ailleurs indiqué qu'il pensait que c'était sur cette technologie que la Silicon Valley pouvait se démarquer, pour deux raisons. Les industries asiatiques ont, d'après lui, beaucoup d'avance sur les autres formes de batteries, comme la technologie sodium-souffre du constructeur japonais NGK, alors que la technologie à flux continu est relativement nouvelle. En outre, les batteries à flux continu demandent des immobilisations (CAPEX) moins lourdes que les batteries lithium-ion par exemple, puisqu'elles utilisent des composés à base d'eau.
Une batterie permet de stocker et déstocker de l'énergie électrochimique par le biais de réactions d'oxydo-réduction, réactions chimiques au cours desquelles des électrons sont échangés.
- Les électrodes sont constituées de matériaux de travail qui libèrent ou acceptent les électrons. En configuration de décharge, elles sont respectivement appelées anode et cathode.
- L'électrolyte, placé entre les deux électrodes, bloque les électrons mais autorise le passage des ions afin d'assurer l'équilibre de charge du système.
- Un circuit électrique extérieur connecté aux électrodes amène les électrons de l'anode à la cathode (décharge) et utilise l'énergie sous forme de travail électrique.
Les batteries à flux continu ont la particularité d'avoir des électrodes liquides et un électrolyte polymère (membrane échangeuse d'ions). Dans la cellule où a lieu la réaction d'oxydo-réduction, un feutre en graphite qui est imprégné des électrodes liquides permet la conduction électronique vers des collecteurs en graphite puis vers le circuit extérieur.
Les liquides contenant les éléments réactifs des deux demi-piles sont stockés dans des réservoirs séparés. Ils traversent les cellules pour l'oxydo-réduction puis sont évacués par un système de pompage. Ainsi, un grand avantage de cette technologie est de dissocier la puissance et la capacité énergétique du système, qui dépendent respectivement du nombre de cellules utilisées et du dimensionnement des réservoirs.
Remarquons que dans de nombreuses publications, il est indiqué - à tort d'après [5] - que c'est l'électrolyte qui circule, et que les deux réservoirs contiennent "l'anolyte" et le "catholyte". Quoiqu'il en soit, le fait que les matériaux actifs soient liquides donnent un second avantage aux batteries à flux continu : il n'y a pas de perte de performance par déformation de l'électrode au cours des cycles de charge-décharge et les systèmes ont une durée de vie assez longue (plusieurs milliers de cycles [6]). De plus, si la batterie ne fonctionne pas pendant quelques temps, les cellules peuvent être vidées pour s'affranchir quasi-totalement du phénomène d'auto-décharge.
Parmi les défauts, on peut relever que ces systèmes sont volumineux à cause d'une densité énergétique relativement faible, que l'ingénierie hydraulique et la tuyauterie peuvent être complexes. De plus, la membrane peut présenter des risques d'instabilité. Enfin, la multiplication du nombre de cellules doit être étudiée, car des compromis doivent être faits entre la vitesse de circulation du liquide, les courants de court-circuit à éviter et la performance d'une cellule [7]. La consommation de la pompe réduit le rendement global [8], qui varie entre 65% et 75% d'après Robert Schaiker, membre de l'Electric Power Research Institute (EPRI) et modérateur à la conférence.
Plusieurs matériaux ont été explorés pour créer des batteries à flux continu. Les plus connus sont les suivants :
1. Batterie au Vanadium (V). Le vanadium, additif couramment utilisé dans l'acier, est un élément dont les degrés d'oxydation usuels varient de +2 à +5. Cette technologie est utilisée par la compagnie Prudent Energy, qui distribue des systèmes de l'entreprise VRB.
2. Batterie au bromure de sodium (NaBr) et polysulfure de sodium (Na2S4). Cette technologie était utilisée par la compagnie Regenesys, dont les licences ont été rachetées par VRB [9].
3. Batterie au bromure de zinc (ZnBr2) [10], utilisée par les compagnies Premium Power, Primus Power [11], Redflow et ZBB.
4. Batterie au bromure d'hydrogène (HBr). Le LBNL a obtenu une bourse du programme Arpa-e pour travailler sur cette solution [12].
5. Batterie utilisant des ions fer (Fe) et chrome (Cr), utilisée par les compagnies EnerVault [13] et Deeya Energy [14].
Enfin, d'autres couples redox ont été testés, comme V/Br ou Ce/Zn.
En conclusion, les batteries à flux continu sont variées et semblent prometteuses. De nombreux projets sont actuellement en développement en Californie et nous reviendrons en détail sur ceux-ci dans des articles à venir.
Source :
- [1] 2011 Silicon Valley Energy Storage Symposium, Joint Venture, 12 jan. 2011 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/a0sza
- [2] Assembly Bill No. 2514, Gouvernement de Californie, 29 sept. 2010 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/rsbVW
- [3] Cahier des charges et avis de l'appel d'offre disponibles sur le site de la CRE, participation ouverte jusqu'en mai 2011 - http://www.cre.fr
- [4] Energy Commission Awards $2 Million to PG&E for Battery Storage Research, CEC, 9 fév. 2010 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Bfnl8
- [5] Energy Storage, R. A. Huggins, livre publiés par Springer, 2010
prudent[] - http://www.pdenergy.com
- [6] Modeling of a Vanadium Redox Flow Battery Electricity Storage System, EPFL, avr. 2009 - http://biblion.epfl.ch/EPFL/theses/2009/4277/EPFL_TH4277.pdf
- [7] Advanced Materials and Devices for Stationary Electrical Energy Storage Applications, f Nexight Group, déc. 2010 - http://energy.tms.org/docs/pdfs/Advanced_Materials_for_SEES_2010.pdf
- [8] Handbook of Energy Storage for Transmission or Distribution Applications, EPRI, 18 déc. 2002 - http://my.epri.com/portal/server.pt?Abstract_id=000000000001007189
- [9] VRB Power Acquires Regenesys Electricity Storage Technology, Power Electronics Technology, 5 oct. 2004 - http://powerelectronics.com/news/vrb-power-regenesys/
- [10] Zinc Bromide: mass energy storage for the masses?, Green Energy News, 14 jan. 2010 - http://www.green-energy-news.com/arch/nrgs2010/20100004.html
- [11] Energy Storage Needs Better Utility Policy, Language, Culture to Succeed, GreenTech Media, 28 juil. 2010 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Hr5XN
- [12] Lawrence Berkeley National Laboratory : Hydrogen-Bromine flow batteries for grid-scale energy storage, arpa-e - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/yOE5g
- [13] Brevet déposé par Craig Horne, publié le 26 oct. 2010 - http://ip.com/patent/US7820321
- [14] Battery Technology Stores Clean Energy, Nasa spinoff, 2008 - http://www.sti.nasa.gov/tto/Spinoff2008/er_2.html
ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 232 (21/01/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65629.htm
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