lundi 31 janvier 2011

Energie & BOP : Berkeley & ONG franco-américaine blueEnergy

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65725.htm

blueEnergy est une association fondée en 2003 par trois jeunes diplômés originaires de France et de Californie. Sa mission est d'améliorer les conditions de vie des populations isolées en développant énergies renouvelables et services de base associés. Le concept originel de blueEnergy, qui reste son coeur de métier, est la fabrication locale de mini-systèmes éoliens, en limitant l'utilisation de matériaux importés et en formant des techniciens locaux. Outre la création d'activité, cette approche globale permet le transfert de technologies (construction et installation) et facilite la maintenance des systèmes énergétiques [1]. Les étudiants du mastère OSE (Optimisation des Systèmes Energétiques) de l'école des Mines ParisTech auront l'occasion de découvrir en mars prochain les installations de l'ONG au Nicaragua, lors d'un voyage d'étude qui les aidera à publier un livre à la fin de l'année scolaire [2].

Christian Casillas est étudiant en thèse à l'université au groupe Energy and Resource de Berkeley et travaille en collaboration avec le Renewable and Appropriate Energy Laboratory (RAEL [3]). RAEL est un consortium de chercheurs de tous horizons, aux expertises diverses, qui travaillent sur la conception, le test et l'implémentation d'énergies renouvelables et "appropriées". Suite à l'échec relatif des solutions top-down pour favoriser le développement des pays émergents observé dans les années 70 et inspiré par la collection d'essais "Small Is Beautiful" de l'économiste Schumacher [4], le RAEL tente de concilier des approches de développement plus personnalisées avec les contraintes traditionnellement associées au secteur de l'énergie (projets longs à préparer puis construire, nécessitant un apport de capitaux important).

Daniel Kammen, le charismatique directeur du laboratoire, travaille par ailleurs depuis octobre dernier à la Banque Mondiale en tant que spécialiste en chef des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique [5].

La problèmatique de l'accès à l'énergie est effectivement un sujet qui mérite attention. Actuellement, 85% des 1,5 milliards d'hommes qui n'ont pas accès à l'électricité vivent en région rurale et 1 milliard supplémentaire a un accès réduit à l'électricité. D'après le World Energy Outlook 2010 de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), l'objectif des Nations Unies d'éradiquer l'extrême pauvreté d'ici à 2015 ne sera pas atteint si les efforts pour l'accès à l'énergie ne sont pas revus à la hausse. Le budget à prévoir serait de $41 milliards entre 2010 et 2015, soit seulement 0,06% du PIB mondial. Pour aller plus loin et que chacun ait accès à un service d'énergie "moderne" d'ici à 2030, il faudrait $36 milliards de plus chaque année, soit moins de 3% des investissements énergétiques prévus dans le scénario "New Policies" de l'AIE. La hausse de consommation de l'énergie résultante serait inférieure à 3% pour l'électricité et à 1% pour le pétrole tandis que les émissions de CO2 supplémentaires ne seraient que de 0,8% [6].

Ces dernières années cependant, les débats internationaux semblent se focaliser sur le changement climatique uniquement, aux dépens de l'aide au développement. Dans ce contexte, Christian Casillas a senti la nécessité de prouver la complémentarité des trois objectifs suivants:
- la réduction de la pauvreté dans les zones rurales,
- la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
- l'accès à l'énergie pour tous.

D'après lui, même si la quantité d'énergie consommée par foyer est faible dans les populations isolées, la qualité environnementale en est tellement mauvaise que des réductions de gaz à effet de serre peuvent être réalisées à un prix bien moindre que dans les villes, où les systèmes de production d'électricité centralisés sont souvent plus efficaces. Certes, le gisement de réduction principal dans les communautés rurales peuvent être obtenues en empêchant la modification de l'utilisation des sols, mais le coût de la tonne de CO2 évitée est alors plus cher.

Etude sur le terrain

Profitant des fortes relations nouées avec blueEnergy depuis la naissance de l'association [7], le chercheur a coopéré avec l'ONG et le Ministère des Mines et de l'Industrie au Nicaragua pour mener une expérience économique. Cette étude, qui a fait l'objet d'un article publié par le journal Science, démontre que dans les communautés rurales il est rentable de diminuer les émissions de gaz à effet de serre [8].

172 foyers des villages de Marshall Point et d'Orinoco ont accès à de l'électricité produite par un générateur diesel et injectée sur un mini-réseau pendant une partie de la journée seulement. Au cours de l'année 2009, deux actions ont transformé la consommation des communautés:
- Tout d'abord, l'installation de compteurs d'électricité dans les maisons a permis une tarification adaptée à la consommation réelle de chaque foyer, contrairement au système de prix fixé selon le nombre d'appareils connectés qui était en place jusqu'alors. Cette mesure a permis de réduire la consommation quotidienne de 28%, principalement grâce à une utilisation de l'éclairage plus rationnelle durant la journée.
- Puis, les foyers ont eu la possibilité d'échanger gratuitement jusqu'à deux ampoules incandescentes par des ampoules compactes fluorescentes (CFL) bien plus économes en énergie. 17% supplémentaire de consommation ont ainsi pu être évité.

La réduction des besoins d'énergie a permis l'extension du service de deux heures, soit 12h d'accès au réseau au lieu de 10h précédemment, pour un plus grand confort des populations. Malgré cette mesure, la quantité de diesel brûlée chaque jour a diminué! Outre le bénéfice environnemental, la réduction des factures d'électricité - pour 37% des habitants du village d'Orinoco - favorise donc le développement des communautés.




Dans ces exemples, le coût de la tonne de CO2 évitée est négatif puisque la baisse des coûts compense largement l'investissement initial. D'après les évaluations de Christian Casillas et Daniel Kammen, d'autres mesures permettent ces gains et pourraient facilement être mises en place, comme le déploiement d'un système d'éclairage public par exemple. Les chercheurs ont illustré ceci par une courbe de la réduction de coût marginal. L'outil est populaire depuis que le cabinet McKinsey l'a utilisé pour quantifier le coût des réductions d'émission de gaz à effet de serre [9] mais est d'ordinaire utilisé à l'échelle d'un pays, pas d'une petite communauté.



Le professeur Kammen souhaite que suite à cette publication "des courbes similaires soient tracées. Des communautés souvent ignorées ou catégorisées uniformément comme "n'ayant pas accès à l'électricité" pourront alors fixer leurs propres objectifs de développement personnalisés et appropriés". Ainsi elles pourront, en coordination avec les entités comme blueEnergy qui travaillent avec elles, développer de vraies solutions énergétiques et pas seulement obtenir des équipements qui ne sont pas nécessairement adaptés à leur situation. L'avantage pour les gouvernements est de voir immédiatement les solutions les moins chères et de pouvoir quantifier les réductions de gaz à effet de serre correspondantes.

Néanmoins, Christian Casillas souligne que la courbe est un instrument qui pourrait être amélioré, car il ne fournit aucune évaluation qualitative des actions décrites, comme par exemple les principaux bénéficiaires [10]. A cause de la structure de tarification en place, il se trouve en effet que ce sont sans doute les plus riches, qui possèdent le plus d'ampoules, qui ont le plus profité de l'installation des compteurs. Alors que les plus pauvres ont un tarif "d'accès à l'électricité" qui ne peut être réduit : ainsi la réduction de la consommation ne change pas leurs frais.

En complément de la technologie, les aspects socio-économiques sont primordiaux

Il est intéressant d'observer que les ingénieurs en énergie qui se penchent sur les problèmes d'accessibilité aux moyens énergétiques de base parviennent finalement à embrasser le problème de la pauvreté dans son ensemble. Christian Casillas, par exemple, envisage pour la suite de sa thèse d'entreprendre une étude des relations et connexions entre les acteurs économiques de communautés nicaraguayennes, ceci afin de mieux comprendre les facteurs qui orientent leurs choix économiques, comme la détermination du prix de vente des biens qu'ils vendent. Ensuite, les résultats seront exploités pour mettre en place des modèles informatiques, à l'instar de projets menés en France par le CIRAD avec des populations du sud-est de l'Asie [11].

Tandis que l'AIE a mis en place un indice de développement énergétique - version pour l'énergie de l'indice de développement humain - classifiant les pays à partir de données nationales, un autre étudiant en thèse de Berkeley, Alistair Cohen, a coordonné un projet de l'International Fund for Agricultural Development sur la création d'un outil d'évaluation multidimensionnel de la pauvreté. Il permet de mieux appréhender et de développer les efforts de réduction de la pauvreté rurale [12].

Enfin, une des spécificités de blueEnergy est la qualité et le suivi long-terme des relations qu'elle établit avec les communautés rurales. L'association franco-américaine, dont la soirée annuelle aura lieu le 28 janvier à Paris [13], tente d'ailleurs de former et d'employer le maximum de personnes locales pour ne pas compter seulement sur le travail de volontaires étrangers.

Au-delà des organisations non-lucratives, les entreprises pourraient bientôt s'intéresser au milliard d'individus de la planète qui ont un faible revenu. Ce marché, intitulé "BOP" pour "Base of the Pyramid", représente en effet d'après Enea Consulting $5000 milliards par an et est en forte croissance [14]. Cependant, peu de produits et de services regardent aujourd'hui dans sa direction.

SOURCE : 
- [1] Site internet de blueEnergy http://www.blueenergy.fr
- [2] Site internet du mastère OSE (Mines ParisTech) http://www-ose.cma.ensmp.fr/
- [3] Site internet du laboratoire http://rael.berkeley.edu/
- [4] Article wikipedia sur le livre Small is beautiful - A Study Of Economics As If People Mattered, E. Schummacher, 1973http://fr.wikipedia.org/wiki/Small_is_beautiful
- [5] Blog du professeur Kammen relatant ses activités à la banque mondiale -http://blogs.worldbank.org/climatechange/blogs/daniel-kammen
- [6] Energy poverty - How to make modern energy access universal?, WEO (AIE), 2010 - http://www.worldenergyoutlook.org/docs/weo2010/weo2010_poverty.pdf
- [7] Blog de blueenergy, 1er jan. 2011 - http://bluenews-blueenergy.blogspot.com/
- [8] The Energy-Poverty-Climate Nexus, Science, 26 nov. 2010. Article électronique gratuit sur cette publication : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/MO7XC
- [9] A cost curve for greenhouse gas reduction, McKinsey, mai 2007 -http://www.epa.gov/oar/caaac/coaltech/2007_05_mckinsey.pdf
- [10] Entretien avec Christian Casillas à Berkeley, 25/01/11
- [11] Sélection de publications des agents du Cirad, 2010 -http://publications.cirad.fr/auteur.php?mat=1338
- [12] The Multidimensional Poverty Assessment Tool Design, development and application
of a new framework for measuring rural poverty, IFAD, mars 2010 -http://www.ifad.org/mpat/resources/book.pdf
- [13] Soirée blueEnergy le 28 janvier à Paris - http://www.blueenergy.fr/spip.php?article748
- [14] Facts & figures - Le marché BOP, Enea Consulting, fév. 2009 -
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/jK6WY


ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 233 (28/01/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65725.htm

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