Responsables de 43% de la consommation d’énergie finale annuelle française, et d’un quart des émissions de CO2, les bâtiments résidentiels et tertiaires devront, pour respecter le Grenelle de l’environnement, réduire d’ici à 2020 leurs émissions de 50% et leur consommation énergétique d’environ 40%. La vitesse de renouvellement du parc, autour de 1% par an, étant insuffisante pour atteindre ces objectifs, c’est sur la rénovation thermique qu’il faudra compter. Un gigantesque chantier estimé à 200 milliards d’euros par l’institut Xerfi.
Qui dit rénovation thermique, dit essentiellement isolation. Or ce marché est plutôt atypique. En amont, des fabricants de matériaux, en situation quasi oligopolistique. En aval, une myriade d’artisans poseurs au rayonnement local. Au milieu, des distributeurs non spécialisés, ayant un rôle essentiellement logistique et sans véritable influence sur le marché. Et autour, quelques professionnels spécialisés qui pourraient bien vivre des croissances impressionnantes.
Les fabricants maitrisent le marché des matériaux
Une vingtaine de fabricants, emmenés par une poignée de leaders mondiaux dans leur secteur (les Français Isover-Groupe Saint-Gobain et Lafarge, le Danois Rockwool, l’Allemand Knauf…) se partagent les 1,5 milliards d’euros du marché français des matériaux d’isolation (dont un peu plus de la moitié en rénovation) et ses 6% de croissance annuelle depuis 2003.
« Tous ces fabricants ont pour point commun d’être en situation d’oligopole », écrit Philippe Gattet, analyste chez Xerfi. Il faut dire qu’il est difficile pour les challengers de se faire une place au chaud. Tout d’abord, les barrières à l’entrée sont considérables : « Nous avons investi plus de 60 millions d’euros en 2009 pour accroître la production de notre usine française », explique Fouzia Salhi, Responsable Marketing de Rockwool France, leader de la laine de roche dans l’hexagone. Ensuite, les matériaux étant par définition volumineux, ils imposent une logistique coûteuse et sont de piètres candidats à la production délocalisée. Les offres « low-cost » sont ainsi quasi inexistantes.
Les nouveaux entrants s’adressent donc à la clientèle haut de gamme, friande d’isolants écolos : souvent moins polluants que les matériaux classiques, presque toujours plus chers, apparemment aussi performants et désormais pratiquement tous agréés par le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment). Ces challengers, qui proposent essentiellement des matériaux bio-sourcés (chanvre, cellulose, bois, laine…), progressent plus vite que le marché. « Nos adhérents affichent une croissance à deux chiffres, et nous représentons désormais plus de 5% du marché des isolants », se félicite Jean-Pierre Buisson, Président de l’ASIV (Association Syndicale des Industriels de l’Isolation Végétale).
Les prix aux mains des poseurs et du fisc
En termes de chiffre d’affaires, ces grandes manœuvres énergétiques profiteront d’abord aux poseurs, car la main d’œuvre représente couramment 70 à 80% du montant d’un chantier d’isolation. Mais ils sont nombreux sur le gâteau : 98% des 350 000 entreprises intervenant en isolation comptent moins de 20 salariés (sourceCAPEB). Une situation qui s’explique par les faibles gisements de productivité d’une activité ni délocalisable, ni mécanisable. Difficile dans ces conditions de prévoir l’évolution des prix. D’après Xerfi, la facilité de pose ouvre de facto le marché à de nombreux corps de métiers, qui devraient se livrer à une concurrence féroce. Cependant, le manque de main d’œuvre qualifiée pourrait tout autant tirer les prix vers le haut. Une éventualité qui pourrait bien contrarier les objectifs du Grenelle, car le principal frein du marché est financier : «Sur trois particuliers, un seul passe à l’acte, les autres reportent ou annulent, car c’est trop cher, ou trop long à rentabiliser », précise Fouzia Salhi. Idem du coté des bâtiments tertiaires pour lesquels d’après Bruno Marotte, Directeur Rénovation Energétique de Bouygues Bâtiment IdF : « Les économies ne payent que 30 à 50% des investissements. Pour le reste, il faut compter sur les aides publiques ». Caroline Lestournelle, Secrétaire général du FILMM (Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées) confirme : « Les mises en chantier dépendent fortement des déductions fiscales. Nous aimerions d’ailleurs un peu plus de stabilité dans ces dispositifs. »
Des métiers connexes en plein essor
Quelques métiers gravitant autour de la filière pourraient bien tirer leur épingle du jeu. Chez les maîtres d’œuvre, « l’intégration » progresse : « Sur le segment des bâtiments tertiaires, il devient impératif de proposer une prestation globale, qui comprend la conception, la réalisation et la mesure de la performance énergétique réelle », explique Bruno Marotte. Une méthodologie désormais déclinée pour les particuliers, avec par exemple la certification « NF Maison Rénovée » de Cequami, qui labélise des professionnels du bâtiment capables de coordonner la rénovation thermique d’une maison de A à Z. Les certificateurs ne vont d’ailleurs pas chômer. «En 2010, environ 2,5% des rénovations dans le tertiaire ont été certifiées. La mise en place depuis juillet 2010 d’un référentiel dédié, combinée à la croissance naturelle du marché devrait nous permettre d’atteindre rapidement 20 % », analyse Patrick Nossent, Président de Certivea.
Plus proches du terrain, les consultants énergéticiens sentent déjà un frémissement de la demande de diagnostics énergétiques avant travaux, même pour les maisons individuelles. «Les volumes sont encore faibles, mais j’ai réalisé une progression de 40% sur les études thermiques en 2010 », se félicite David Thomas, fondateur d’Audit Maison Energie qui opère dans la région de Caen. Il faut dire que le Conseil régional finance la moitié des 700 euros facturés et que sa caméra thermique fait son petit effet. «Les clients sont rassurés par la vision des déperditions sur les clichés. Ils comprennent mieux de quoi on parle. Et au final, cela les aide à passer à l’acte », ajoute-t-il. L’AFTIB(Association Française pour la Thermographie Infrarouge dans le Bâtiment) confirme l’intérêt de la profession pour ces caméras : « Nous formons actuellement 150 personnes par an, annonce Jacques Amsellem, son président. Et les prochaines sessions sont déjà pleines ». Inutile de préciser que les ventes de caméras sont au beau fixe. « Nous prévoyons une forte accélération pour 2011, prédit Bruno Comby, directeur marketing de Fluke France. Et nous progressons déjà largement plus vite que le marché ». D’après lui, l’infiltrométrie devrait d’ailleurs subir le même sort.
A la limite du bâtiment et de l’informatique, de nouveaux équipements s’imposent. Les ventes de systèmes de régulation programmable ont ainsi progressé de 25% en 2010, alors que le marché de la GTB (Gestion Technique des Bâtiments) baissait de 12%. Enfin, « l’ingénierie comportementale » n’est pas en reste : on ne compte plus les offres de tableaux de bords énergétiques promettant des économies supplémentaires grâce à la prise de conscience de la consommation d’un bâtiment par ses occupants.
Des travaux pharaoniques
Sur les 32 millions de logements français, les deux tiers ont été construits avant 1975, c’est-à-dire en l’absence de toute réglementation thermique. Et 70% de l’ensemble du parc tertiaire date d’avant 1980.
D’ici à 2020, pour respecter le Grenelle, il faudra :
- Rénover 400 000 logements par an dont près de 100 000 logements sociaux
- Diviser par deux les GES des 370 millions de m2 de bâtiments tertiaires du secteur public
- Réduire sérieusement la consommation énergétique des 500 millions de m2 de bâtiments tertiaires du secteur privé (Estimation - sources CEREN et Ministère de l’environnement), vraisemblablement via des obligations de travaux.
D’après le ministère de l’Environnement :
« Le secteur de la rénovation du bâtiment emploie près de 100 000 personnes, pour un chiffre d’affaires estimé à 9 milliards d’euros. Avec la mise en œuvre du Grenelle Environnement, le chiffre d’affaires du secteur devrait être multiplié par plus de deux d’ici 2012 pour atteindre 18 à 22 milliards d’euros par an, ce qui devrait amener la mobilisation de 120 000 emplois supplémentaires dans ce secteur très intensif en emplois et peu délocalisable. »
SOURCE : Cleantech Republic
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