mardi 19 janvier 2010

Les objets, même les plus usuels, deviennent de plus en plus « intelligents »

En France, la Commission générale de terminologie et de néologie a clos l’année 2009 [1] en officialisant des traductions de termes techniques, parmi lesquels le « Smartphone », poétiquement baptisé « Ordiphone », honorant ainsi de remarquables capacités de traitement. On pense immédiatement à l’iPhone et au Blackberry qui totalisent 70% du marché des Smartphones et 606 millions de résultats de recherche dans Google, soit autant que le mot « America ». Déjà une forme de consécration !

Si l’on entend beaucoup parler de Smartphone, n’oublions pas les SmartGrid, les Smart Meter, les Smart Car, les Smart Box, etc. Du « smart » omniprésent, adjectif flatteur, et pour des raisons qui n’apparaissent pas toujours bien clairement. On s’obstine par ailleurs à traduire en Français « Smart » par « Intelligent » (compteur intelligent, réseaux intelligents, etc.), ce qui est une traduction réductrice, dans la mesure où « Smart » signifie également dans la langue de Shakespeare « dégourdi », « rapide » et même « chic ».

Les innovations « smart » méritent l’ensemble de ces qualificatifs car elles tirent pleinement partie des évolutions numériques à l’œuvre : augmentation des capacités, de la mémoire et de l’autonomie des objets, miniaturisation, accroissement de la connectivité y compris en situation de mobilité, réseaux haut débit, géolocalisation, bases de données globales (ex. Google), inventivité en matière d’applications. Les innovations « Smart » pèsent et vont peser de plus en plus lourd dans l’économie :

  • La gestion de l’énergie va se faire de plus en plus « intelligente » sur l’ensemble de la chaîne de valeur avec les « SmartGrid », « smart meter » et « Smart Home ».

o Forçons le trait, évitons d’entrer dans des débats d’expert. Les capacités de production et de transport d’électricité sont actuellement dimensionnées pour passer les pics de consommation, aussi courts et peu fréquents soient-ils. Or l’énergie de pointe, c’est à dire actionnable dans un temps très court, est précisément celle qui émet le plus de CO2, à l’exception de l’énergie hydroélectrique. Il y a donc un intérêt à lisser la courbe de charge en jouant sur la demande, en gérant mieux les flux : c’est l’objet des SmartGrid. 11 milliards de dollars ont ainsi été affectés par le Président Obama aux «Smart Grid » dans le cadre de son plan pour une relance verte.

o Comme les « petits ruisseaux font de grandes rivières », la maitrise de l’énergie ne s’attache pas seulement aux gros consommateurs (industries, transports, etc.) mais à des foyers de consommation au travers du « Smart Meter » chez des particuliers et des professionnels. Ce dernier est « smart » en ce qu’il est un outil moderne, quasi temps réel et qu’il autorise de multiples services pour de multiples acteurs : mesure et affichage de la courbe de charge (ex. GoogleMeter), effacements diffus, diagnostics énergétiques, nouveaux modes de facturation (ex. tarif spot, période mobile), paramétrage sans intervention humaine, etc. Le distributeur ERDF qui va déployer 35 millions de compteurs Linky d’ici à 2017 n’est pas seul. De nouveaux acteurs, des Start-Up mais aussi des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI) pourraient bien prendre part à ce marché en pleine construction.

o Il est parfaitement légitime de mettre en doute la viabilité d’un tel système. On comprend bien que des mesures fines permettent dans un premier temps d’effectuer un diagnostic et prendre des mesures pérennes d’efficacité énergétique. Mais comment un particulier peut-il savoir qu’à 21H40 le 28 décembre 2009, il est en énergie de pointe, qu’il aurait intérêt pour optimiser sa facture à baisser la température de 0,5 degré pendant 2 heures, à repousser le séchage du linge de 3 heures ? La notion de « Smart Home » prend alors tout son sens, en lien avec le « Smart Meter ». A titre d’exemple Berkeley travaille sur des systèmes à air conditionné qui tiennent compte des habitudes de leur propriétaire ou encore du prix de l'électricité pour réguler leur consommation. Autre exemple, des systèmes optimisent la position des volets en fonction de la saison, de la luminosité ou température extérieure.

  • Avec la « smart car » le conducteur n’est plus le seul à penser : iSuppli estime qu’il y aura d’ici 2016 près de 62.3 millions de consommateurs qui auront accès à Internet dans leur véhicule (contre moins d’1 million aujourd’hui), ce qui autorise une infinité d’applications : détection de bouchons, partage de l’image d’un incident, de places de stationnement disponibles, etc. Par ailleurs la voiture pourrait s’intégrer dans les dispositifs de « SmartGrid » comme énergie de réserve.

  • Le « Smartphone » évoque une métaphore triviale, celle du couteau suisse de l’homme moderne. Le Smartphone est certes un téléphone qui véhicule la voix, mais c’est presque accessoire. Prenons les deux champions : le Blackberry (10,1 millions dans le monde sur le dernier trimestre 2009), l’iPhone (7,1 millions dans le monde sur le dernier trimestre 2009, 50% du marché français des Smartphones et 8,5% des mobiles). Blackberry s’est d’abord illustré dans les milieux professionnels avec une technologie qui “pousse” les mails et les messages instantanés et séduit maintenant la jeunesse qui apprécie être informée en temps réel de l’activité des réseaux sociaux (Facebook, Myspace…). Apple a de son côté créé la surprise en se diversifiant avec un succès fulgurant dans la téléphonie mobile avec deux principales clés de succès : une ergonomie incomparable, une production d’applications sur un mode « collaboratif », Apple se faisant l’intermédiaire entre les éditeurs et les consommateurs. Il y a eu 3 milliards de téléchargements parmi 120000 applications disponibles sur l’App Store. Comment expliquer un tel succès ? Les applications de l’iPhone combinent plusieurs éléments qui s’apparentent aux sens humains : la vue (écran, photo / vidéo), l’ouïe (haut parleur, micro), le toucher (écran tactile, vibration), l’orientation (GPS, boussole, gyroscope), la communication (Internet, téléphone), le savoir (bases de données embarquées, externes), l’identité du possesseur (préférences, caractéristiques, historique, identifiants / mots de passe pré chargés…), la capacité de traitement, le tout avec une ergonomie et une simplicité très bien étudiées. Aussi le champ des possibles en matière de conception d’applications est-il extraordinairement vaste, d’où une offre pléthorique répondant à une demande boulimique de téléchargement. Quelques perles parmi tant d’autres, des sérieuses et des ludiques : Business Card Reader(scan et intégration automatique de cartes de visites), RATP, Avertinoo (avertisseur de radar), Comuto pour le covoiturage, OpenCellar (gestion de la cave à vin), WhiteNoise (génération de sons, y compris pour calmer votre bébé), Let’s Golf (jeu), Péteur (farce et attrape), etc. Il y en a même qui vous feront progresser telle « Smart.fm » qui est basée sur les études sur la mémoire et le cycle d’apprentissage qui voudrait que le meilleur moment pour réviser les connaissances mémorisées est juste avant de les oublier. En vous inscrivant, le logiciel se rappellera ce que vous étudiez et se chargera de vous rappeler ce que vous êtes sur le point d’oublier, en vous informant et vous permettant de tester vos connaissances.

Cela peut paraitre paradoxal : les usages « smart » visent à améliorer notre efficacité et notre confort en un minimum d’effort au prix d’une incroyable complexité pour ceux qui produisent ces mêmes services. Les opportunités business mais aussi les risques sont à l’image de la taille des marchés, de la rapidité des développements et des évolutions technologiques. Maintenant plus que jamais les entreprises doivent comprendre et percevoir les signaux faibles pour bâtir des stratégies solides et entreprendre efficacement.

Et pour répondre à une question plus philosophique sur la place de l’Homme au sein de tant d’aides électroniques, Madame De Girardin (1804-1855) fournit une réponse toute faite « Un homme intelligent à pied va moins vite qu'un sot en voiture. »

SOURCE : Innhotep


[1] Arrêté dans le Journal Officiel du 27 décembre

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