La manière dont on utilise son téléphone mobile a longtemps été influencée par les différences culturelles, explique The Economist, mais “l’esprit des machines” n’est-il pas en train de réduire ces différences ?
Si les technologies ont tendances à être mondiales, elles sont aussi des marqueurs de différences culturelles car les usages sont loin d’être parfaitement homogènes. C’est le cas des téléphones mobiles notamment. Tout d’abord, on ne parle pas d’eux de la même manière selon l’endroit d’où on en parle : on parle de Mobiles en Allemagne ou en Espagne pour désigner des appareils qui s’inscrivent dans l’itinérance ; on parle d’Handys, de Kännykät ou de Sho Ji, en Allemagne, Finlande et Chine pour désigner ses appareils qui tiennent dans la main, soulignant ainsi leur fonctionnalité. Les Japonais parlent de Ketaï pour désigner ces appareils qu’on peut emporter avec soi. Les Cellular américains traduisent une vision plus technologique. “Ces distinctions sont révélatrices d’objets qui, en l’espace d’une décennie, sont devenus aussi essentiels au fonctionnement de l’homme qu’une paire de chaussures.”
Comment la culture détermine des pratiques différentes ?
En 10 ans, on est passé de 500 millions de mobiles à 4,6 milliards. Si dans les pays riches on trouve plus d’abonnements que d’habitants, force est de constater que plus de la moitié des habitants des pays pauvres sont désormais équipés en téléphones mobiles, donnant une toute autre configuration à la question de la fracture numérique.
Le temps d’utilisation moyen est en progression : nous sommes passés de 174 minutes de télécommunication par mois en 2000 depuis nos mobiles à quelques 261 minutes en 2009, sans compter l’explosion de l’usage des SMS ou des échanges d’images ou de vidéos. Et la révolution des téléphones permettant de se connecter à l’internet et de télécharger des applications est encore appelée à bouleverser nos modes d’utilisation de ces appareils. Morgan Stanley ne vient-il pas de souligner que l’internet mobile était en train de nous faire entrer dans un nouveau cycle technologique ?
Ces tendances mondiales masquent pourtant des différences régionales parfois encore assez contrastées. “La culture influe sur le mode de vie et le mode de vie influence la façon dont nous communiquons”, rappelle Vittorio Colao, le patron de Vodafone. Les technologies sont “à la fois constitutives et construites par des facteurs historiques, sociaux et des contextes culturels”, explique l’anthropologue Mimi Ito, auteure d’un livre sur la sous-culture mobile au Japon. Pour elle, le boom des services mobiles au Japon, lancé notamment par l’i-mode est à relier au harcèlement social que subissent les adolescents : la société japonaise laisse peu de place pour les conversations privées et l’usage du téléphone en public, même dans les transports en commun, y est très mal vu, quand il n’est pas puni par la loi. Cela explique en partie le développement de services de données mobiles, d’autant que l’écriture japonaise permet d’afficher davantage d’information sur un écran de petite taille que les langues qui utilisent l’alphabet romain. En 2009, les Japonais ne conversaient en moyenne que 133 minutes sur leur téléphone (bien moins que la moyenne mondiale et même bien moins qu’en 2002, où ils conversaient 181 minutes en moyenne). Ils compensent par une frénésie textuelle : certains opérateurs ont des moyenne de quelque 1000 SMS par mois par abonnés ! “Pas étonnant que les adolescents de Tokyo aient été appelés la “génération du pouce”.”
Les Allemands sont également économes : ils parlent en moyenne seulement quelque 89 minutes par mois, mais la raison en incombe surtout au prix des communications mobiles. En revanche, les Américains passent quelque 788 minutes à parler sur leurs mobiles ! Outre le biais statistique (les abonnés paient aussi pour les appels entrants), l’une des explications repose sur le fait que les conversations téléphoniques sont peu chères et qu’ils privilégient les transports individuels leur permettant de s’affranchir des règles sociales. Le record est détenu par les Portoricains (1875 minutes !) grâce à des tarifs imbattables et au fait que le pays soit un noeud du routage des appels internationaux.
Les différences comportementales dans l’utilisation du mobile ont longtemps été une question de culture, explique la sociologue Amparo Lasèn de l’université d’informatique de Madrid et du groupe de recherche CiberSomosAguas (blog) qui a comparé l’usage du mobile en Europe, montrant que Parisiens et Madrilènes se sentaient plus libres de parler dans la rue dans les années 2000 que les Londoniens. Les comportements sont différents : en Espagne, les utilisateurs désactivent massivement leur messagerie vocale, considérant qu’il est impoli de laisser un message sans réponse, même si l’appel dérange. Ces variations reflètent les différences d’utilisation traditionnelles de l’espace urbain, estime Mme Lasèn. En Chine également on laisse rarement un appel sans réponse, alors qu’en Ouzbékistan on ne répond jamais à un appel en public. On note également des différences dans les façons de porter les téléphones explique Younghee Jung, designer chez Nokia. Les t-shirts des hommes en Inde se sont dotés de poches pour accueillir de petits téléphones, alors que les femmes les portent dans des sacs colorés, plus pour les protéger et prolonger leur valeur de revente que pour être à la mode. Au Japon, on le personnalise aussi facilement qu’on en change. Les travailleurs en ont d’ailleurs souvent deux : l’un privé, l’autre pour le travail. Les managers latino-américains aussi en ont plusieurs, mais plutôt pour démontrer l’importance d’être connecté.
Reste à savoir si ces différences sont en train de céder la place à une culture mondiale et globale ? Si ces différences culturelles vont persister ou au contraire si elles vont avoir tendance à s’estomper ?
Vers une globalisation des comportements ?
Cette question a suscité quelques controverses. Tout le monde n’est pas d’accord avec l’argument de Mimi Ito selon lequel la technologie est toujours socialement construite. James Katz, un professeur de communication de l’université Rutgers défend l’idée qu’il existerait un “esprit de la machine” (Apparatgeist, en allemand). “Indépendemment de la culture, quand les gens interagissent avec des technologies de communication personnelles, ils ont tendance à standardiser l’infrastructure et à graviter vers des goûts cohérents et des fonctionnalités universelles.” Le professeur Amparo Lasèn constate également que les différences qu’elle observait en 2000 en Europe ont eu tendance à s’estomper (hormis le rejet de la messagerie vocale par les Espagnols). Mais il n’y a pas que l’esprit de la machine qui est en cause, modère-t-elle. “Partout en Europe, les gens font face à des vies de plus en plus complexes et ont besoin du téléphone mobile pour les gérer.” Pour Mimi Ito également : la vie de plus en plus réglementée des adolescents américains tend à leur faire utiliser les communications textuelles autant que les jeunes Japonais.
Et il y a de fortes chances que cette convergence des comportements se poursuive, notamment parce qu’il est de l’intérêt des industriels de trouver des réponses globales. Chez Nokia,Younghee Jung travaille notamment à un projet d’esperanto des gestes pour contrôler son mobile et trouver un geste internationalement acceptable pour rendre simplement silencieux son mobile quand il sonne.
À long terme, les différences d’usages nationales vont disparaître, estime Scott Campbell, chercheur à l’université du Michigan, mais les différences économiques, elles ne vont pas s’estomper comme cela. En Afrique les temps de communication vont demeurer prépayés et la pratique du signal pour se faire rappeler devrait perdurer. Plutôt que des différences culturelles, Nokia envisage d’ailleurs de mieux distinguer ses utilisateurs selon leurs pratiques : entre ceux qui veulent de la simplicité et ceux qui souhaitent des fonctionnalités. Dans les pays pauvres, Nokia développe une gamme de services appelée “Life Tools” allant de l’information agricole à des services éducatifs… alors que dans les pays riches les combinés sont plutôt livrés avec des abonnements pour télécharger de la musique.
A croire que certains ont plus à gagner que d’autre dans cette globalisation des pratiques.
Comme le dit Luke Allnutt, rédacteur en chef de Radio Free Europe, dans un intéressant édito sur la révolution mobile : “Ce n’est pas la technologie par elle-même qui a le pouvoir de changer le monde (en bien ou en mal), mais plutôt l’innovation et la créativité des gens qui l’utilisent”
SOURCE : InternetActu
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