Incontestablement, le mois de septembre aura marqué un tournant dans le processus de sortie de crise de l'industrie high-tech américaine. Pour la première fois depuis près de deux ans, celle-ci a retrouvé le chemin des acquisitions. En quelques semaines, Oracle s'est emparé de Sun Microsystems (7,4 milliards de dollars), EMC a fait de même avec Data Domain(1,8 milliard), Dell a racheté Perot Systems (3,9 milliards), Adobe a jeté son dévolu sur Omniture (1,8 milliard) et l'inévitable Cisco a acquis la même semaine Tandberg (3 milliards) et Starent (2,9 milliards). Pour ne citer que les opérations les plus importantes. Des dizaines d'autres firmes technologiques, en particulier californiennes, ont aussi fait leur marché, comme Intuit qui a acheté deux de ses concurrents pour 170 millions chacun.
Y a-t-il un lien entre toutes ces opérations ? Sont-elles significatives d'une même tendance ? Pour les observateurs, poser la question c'est déjà y répondre.
Après avoir pendant de longs mois resserré les boulons de la gestion en réduisant leurs coûts de structure, les firmes technologiques américaines - pour la plupart débordantes de cash - se lancent aujourd'hui dans une nouvelle course à la taille critique, attendue depuis plusieurs années. « Le critère principal est l'acquisition immédiate de parts de marché », confie un spécialiste des opérations de fusions-acquisitions (M & A) de la Silicon Valley.
Le sentiment de ceux qui ont les moyens financiers de leurs acquisitions est que s'ils ne se lancent pas maintenant, ce sera plus cher plus tard ou alors impossible car un rival les aura devancés.
Cette course à l'expansion est en réalité dictée par des considérations plus complexes encore. La première est boursière. Alors que le marché est déjà reparti à la hausse depuis plusieurs mois, les firmes qui veulent soutenir leur cours ne peuvent le faire que par croissance externe, ayant déjà été au bout des performances possibles de rentabilité, après plusieurs phases de restructuration interne. Le plus souvent douloureuses en termes d'emplois sacrifiés.
Une autre obsession est celle de trouver des relais de croissance nouveaux, si possible complémentaires de l'offre existante : les opérations réalisées par Oracle, EMC ou Dell ne s'expliquent pas autrement. Pour ces fournisseurs de technologie, il s'agit de montrer à leurs entreprises clientes qu'elles ont désormais affaire à une firme globale (« one stop shopping »). H-P n'avait pas acquis, l'année dernière, EDS pour d'autres raisons que celle-ci.
Cisco pousse la logique un peu plus loin en recherchant, depuis plusieurs années, une diversification plus large, non seulement vers les grands ordinateurs serveurs (comme le fait Oracle avec l'acquisition de Sun) mais aussi vers l'électronique grand public ou la visioconférence (Tandberg), ainsi que l'Internet mobile avec Starent. Il s'agit dans ce dernier domaine de répondre au boom des terminaux intelligents de type iPhone ou BlackBerry.
Ce mouvement n'en étant qu'à ses débuts, les spéculations vont bon train pour établir une (longue) liste des prochaines proies dans ce nouveau mouvement de consolidation : Brocade - qui s'est déclaré tout seul « à vendre » - mais aussi Palm, Salesforce ou McAfee, autant de pionniers qui n'ont pas atteint une taille suffisamment critique dans leur domaine respectif, figurent sur cette liste. Entre autres. Car un deuxième mouvement de rachats devrait apparaître après celui-ci, motivé par l'acquisition de technologies nouvelles pour accroître la compétitivité globale. Cisco a une fois de plus ouvert la voie avec Starent et Google a récemment indiqué qu'il ferait partie de ce mouvement. Eric Schmidt, le patron du moteur de recherche, a même précisé qu'il comptait racheter au moins « une entreprise par mois ». Une frénésie d'achats d'autant plus conséquente que les valorisations sont actuellement très basses.
Enfin, une dernière considération va contribuer à stimuler l'appétit de ces géants américains, aux poches si pleines : l'essentiel de leurs réserves financières a été généré en dehors du sol américain et ils ne peuvent rapatrier ce cash sans payer de lourdes taxes au fisc américain. Ils vont donc être d'autant plus tentés de faire leurs emplettes en dehors des Etats-Unis que les firmes technologiques y sont souvent encore moins chères qu'au pays de l'Oncle Sam. Elles présentent en outre l'avantage de se trouver souvent sur des marchés à fort potentiel de croissance.
Source : Les Echos, 19/10/09
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